Philippe ALBERA, Paroles d’utopie II, Contrechamps, Genève, 2001, (14/02/2006)

Rapports intra-paramétriques


La fusion des différents paramètres en une unité globale

À partir des différents matériaux de hauteur et de rythme, chaque paramètre est strictement relié aux autres selon un schéma immuable. L'exemple 3, que nous avons déjà évoqué pour le matériau rythmique, détaille ces associations de paramètres. Les associations sont appliquées pour toutes les sections numérotées de la pièce.

Les différents matériaux qui composent Nachtmusik I sont considérés comme les unités primaires d’un « tout » indissociable. Il ne s’agit pas ici de superposer ou de combiner les différentes dimensions musicales, mais de les faire fusionner en une unicité dans une écoute globale. L’approche déterministe du matériau reste très empreinte d’un désir de maîtriser totalement la conception des différentes dimensions paramétriques de la pièce, avec comme référence permanente la notion de dualité.

De même, comme le note Philippe Albèra, « Nachtmusik vit de la tension entre micro et macrostructure, et exige une écoute capable de passer instantanément de l’intérieur du phénomène sonore, avec ses différenciations multiples et raffinées, à une position plus distanciée, qui permette de suivre la logique du discours musical ; en d’autres termes, l’auditeur est appelé à percevoir simultanément deux couches de temps musical antinomiques, l’une fondée sur un présent élargi, qu’on pourrait dire harmonique, l’autre fondée sur une progression dans un temps plurilinéaire. ». Les différentes dimensions musicales agissent sur la structure de la pièce à plusieurs niveaux. Elles ont à la fois un rôle d’identifiant et un rôle de variable. Leur rôle d’identifiant affecte directement la perception de la forme (un intervalle, par exemple, réapparaît de manière cyclique tout au long de la pièce et définit ainsi les différentes sections), alors que leur rôle de variable tend à diriger l’écoute immédiate d’une section (le même intervalle affecté à une section différente propose alors un enrichissement d’un complexe harmonique principal).

Exemple d’associations paramétriques : l’application de matériau pour la section 11

Afin de démontrer les différentes relations paramétriques qui régissent les sections numérotées de Nachtmusik I, je me propose d’analyser la section 11. Cette section s’articule autour de l’intervalle de seconde mineure, sur la paire ré 2 / mi bémol 4 (joué ici par le violoncelle), et sur l’accord parfait de si bémol mineur (joué par l’alto, le cor anglais et la clarinette basse). A ce complexe harmonique initial est ajoutée – à la fin de la section – une avancée mélodique composée de 11 intervalles ; soit les octaviations des intervalles 2 à 12 de la série A

À partir de cette situation harmonique, nous retrouvons chacune des associations paramétriques détaillées dans l'exemple 3. Pour l’intervalle de seconde mineure (soit la paire ré 2 / mi bémol 4), le tempo principal est à la noire à 144, avec des ritardandi récurrents jusqu’à la noire à 94. À l’exception du  « rythme d’articulation », chacune des composantes rythmiques est utilisée dans cette section. Le sujet rythmique principal ainsi que les modulations d’amplitude en sextolet de doubles croches sont donnés par le violoncelle. L’unité primaire, la double croche de quartolet, est appliquée aux avancées mélodiques.

De plus, nous pouvons remarquer que toute l’organisation de cette section est basée sur des rapports symétriques. La mesure utilisée au chiffre 11 propose une symétrie mise en avant par les deux séries de mesures séparées par une double-barre : 4+3+4 / 4+2+4. Les ritardandi peuvent eux aussi s’analyser de cette manière ; les trois répétitions du retard (144 > 94 | 144 > 94 || 144 > 94 | 144) tendent à créer une rupture d’un point de vue agogique et mettent en avant le point de symétrie que représente la double-barre.