Notes :

[*] Fabien Lévya étudié la composition avec Gérard Grisey au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il est aussi titulaire d’un doctorat en théorie musicale. Il a été de 1999 à 2001 conseiller pédagogique à l’Ircam et chargé de cours à l’Université Paris -Sorbonne. Il a enseigné de 2004 à 2006 l’orchestration à la Hochschule für Musik Hanns-Eisler de Berlin (Allemagne), et est actuellement professeur de composition à la Columbia University de New-York.
Ses oeuvres, éditées chez Billaudot, ont été jouées entre autres par le London Sinfonietta, l’Ensemble Modern, l’Itinéraire, le quatuor Habanera ou l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin. Fabien Lévy a été en 2001 en résidence du DAAD à Berlin et pensionnaire de l’Académie de France/Villa Medicis à Rome (2003). Il a reçu en 2004 le Förderpreis de la fondation Ernst von Siemens pour la musique.

[1] Toute écriture possède deux fonctions : une fonction de transcription, dite graphémologique, et une fonction d'autonomisation par rapport à l'objet transcrit, dite grammatologique, qui interroge la pensée de cette écriture (cf. Jean-Marie Klinkenberg [1996], précis de sémiotique générale, De Boeck Université éd., coll. Points Essais, pp.226-227).

[2] Jacques Derrida [1967], De la grammatologie, les éditions de minuit, Paris, p.103.

[3] « En vérité, les peuples dits 'sans écriture' ne manquent jamais que d'un certain type d'écriture » (Derrida [1967], op. cit., p.124). Cette position oppose Derrida à l'anthropologue Jack Goody.

[4] Par exemple les doigtés des harpistes Nzakara qu'a étudiés l'ethnomathématicien et ethnomusicologue Marc Chemillier (Marc Chemillier [1999] : « Ethnomusicologie, ethnomathématique. Les logiques sous-jacentes aux pratiques artistiques transmises oralement », intervention au Colloque Diderot, Société de mathématiques européennes, Ircam, 03/12/99, voir aussi : http://users.info.unicaen.fr/~marc/publi/diderot/nzakara.html).

[5] Un exemple significatif de cette distinction entre signe prospectif cognitif et signe prospectif représentable fut donné lors du colloque sur l'interprétation qui motive cet article. Le professeur Michel Imberty fit écouter différentes interprétations du Prélude la Danse de Puck de Debussy, l'une par Debussy lui-même (enregistré mécaniquement sur des rouleaux de cire que percutaient les marteaux du piano), les deux autres par deux pianistes professionnels (dont Arturo Benedetti-Michelangeli). L'interprétation de Debussy semblait la plus éloignée du texte. Mais s'agissait-il réellement d'interprétations de la même trace ? Debussy interprétait directement, me semble-t-il, les signes cognitifs qui donnaient naissance à son oeuvre, ayant en parallèle transcrit et interpreté ces signes sur une partition grâce à des signes représentables. Benedetti-Michelangeli, lui, n'interprétait que les signes représentés, ceux de la partition, métissés par ceux laissés par l'héritage culturel commun ou personnel de l'interprète. En d'autres termes, Benedetti-Michelangeli interprétait une trace, elle-même interprétation graphique des intentions cognitives du compositeur.

[6] Charles W. Morris [1946], Signs, Language and Behavior, Prentice-Hall, Inc, Englewood Cliffs, trad. Zeichen, Sprache und Verhalten, Pädagogischer Verlag Schwann, Düsseldorf, p.421

[7] Notons cependant que certains moyens non visuels de transcription, comme l'enregistrement sur bande ou sur ordinateur, possèdent également cette possibilité de revenir sur l'information.

[8] Jack Goody [1977], The domestication of the savage Mind, Cambridge University Press, Cambridge & New York, pp.37-59.

[9] "L'écriture n'est pas seulement un moyen auxiliaire au service de la science -et éventuellement son objet - mais d'abord (...) la condition de possibilité des objets idéaux et donc de l'objectivité scientifique. Avant d'être son objet, l'écriture est la condition de l'épistemè " (Derrida [1967], op.cit., p.43). Et il ajoute : « [l'aventure de l'écriture] se confondrait avec l'histoire qui associe la technique et la métaphysique depuis près de trois millénaires. Et elle s'approcherait maintenant de ce qui est proprement son essoufflement » (ibidem, p.18).

[10] Si Guido d'Arezzo fixe dès le XIe siècle l'écriture des hauteurs, Jean de Garlande établit en 1217 seulement, dans son de mensurabili musica, des modes de rythme indépendants des hauteurs. Franco de Cologne, dans son Ars cantus mensurabilis, vers 1280, inverse ensuite la relation entre modes et durées et fixe des valeurs individuelles de rythme. (Anna-Maria Busse-Berger [2002], "l'invention du temps mesuré au XIIIe siècle", in Observation, analyse, modèles : peut-on parler d'art avec les outils de la science ; actes du deuxième colloque international d'épistémologie musicale; textes réunis par J.-M. Chouvel & F. Lévy, Les cahiers de l'Ircam, L'Harmattan/Ircam, Paris, p.33). La notion de nuances n'apparaîtra qu'au XVIe et XVIIe siècle, avec Vincentino, Bonelli, Biancheri et Praetorius.

[11] Les signes de type idéographique (ou logographique) renvoient de façon autonome à des signifiés, alors que les signes de type monosyntaxique ne fonctionnent qu'en présence d'autres signes (Klinkenberg [1996], op. cit., p.224).

[12] « J'entends par 'musique informelle' une musique qui se serait affranchie de toutes les formes abstraites et figées qui lui étaient imposées du dehors, mais qui, tout en n'étant soumise à aucune loi extérieure à sa propre logique, se constituerait néanmoins avec une nécessité objective dans le phénomène lui-même » (T.-W. Adorno [1982] : "Vers une musique informelle", Quasi una fantasia, trad. J.-L. Leleu, p.294, Gallimard, Paris). Ferneyhough écrit lui-même : « Je n'entends pas par [musique informelle] du matériau surgi, comme par magie, des profondeurs insondables de 'l'esprit', mais plutôt des éléments musicaux qui, aussi rigoureusement employés soient-ils par la suite, jouissent dans leur état originel d'une certaine différenciation interne, d'une certaine complexité en termes de relations » (Brian Ferneyhough, textes réunis par Peter Szendy, [1999], p.112, L'Ircam/L'Harmattan éd., Paris). Le compositeur ajoute : « Ce fut intéressant de relire Vers une musique informelle après plusieurs années et de reconnaître, dans les vastes rêveries spéculatives d'Adorno, un certain nombre d'idées que, à un niveau plus personnel, je m'étais formulées à plusieurs reprises, dans une forme toutefois moins élégante et moins éloquente » (Ibidem, p.110).

[13] Véronique Alexandre-Journeau [2001], La cithare chinoise Qin, Mémoire de DEA de musique et musicologie, Université Paris IV-Sorbonne, 2001, directeur : François Picard.

[14] Véronique Alexandre-Journeau [2002], Les gestes pour le jeu de la cithare qin, Matériau de thèse, (chap. II), Université Paris IV-Sorbonne, mars 2002.

[15] du nom des deux linguistes et anthropologues Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf qui l'énoncèrent.

[16] Les deuxième, troisième, et quatrième méthodes de Descartes édictent qu'il faut ii) « diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour mieux les résoudre » ; iii) « conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour remonter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns des autres. » ; iv) « faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre » (Descartes [1637, rééd.1989] : Discours de la méthode Librairie J. Vrin éd., Paris, deuxième partie, p.69 à 71).

[17] La fusion verticale est ici atteinte par l'utilisation de techniques d'engendrement harmonique issu de spectres, mais selon des techniques personelles, en empruntant par exemple des groupes de partiels dans le haut du spectre (rang 100 à 2000), ayant entre eux des relations particulières : suites arithmétiques, partiels premiers...

[18] Edward Saïd & Daniel Barenboim [2003], parallèles et paradoxes, explorations musicales et politiques, p.100, Le serpent à plumes éditeur, Paris. ("Une étude récente a montré que les musiciens affichaient l'un des plus hauts taux d'insatisfaction dans l'exercice de leur travail. (...) Parce qu'ils font toujours ce que le chef leur dit de faire".)