Les origines

Dès la fin du XVIIIe siècle, les progrès de la facture instrumentale ont permis aux instruments à vent de gagner en importance au sein de l’orchestre de chambre puis de l’orchestre symphonique, mais aussi en musique de chambre, en s’émancipant des cordes. Le son devient plus homogène, l’intonation est mieux maîtrisée, et le système des clés (qui atteindra son apogée avec Boehm en 1832) accroît la virtuosité des musiciens. Dans le même temps, l’enseignement de ces instruments connaît un essor remarquable, notamment en France, au sein du Conservatoire de Paris, fondé en 1793.

Il y avait déjà des ensembles exclusivement constitués d’instruments à vent à la période classique, mais ils utilisaient les instruments par deux et excluaient la flûte, notamment pour des questions de volume et de justesse. Le quintette à vent dans la formation standard prend son essor au tout début du XIXe siècle avec des compositeurs comme Anton Reicha ou Franz Danzi, et il s’imposera assez rapidement. L’intégration de la flûte tient à l’implication d’instrumentistes à la fois compositeurs, virtuoses et éminents pédagogues, tels que François Devienne ou Paul Taffanel, fondateur de ce que l’on appelle aujourd’hui encore l’école française de flûte [1]. Les flûtistes ont d’ailleurs joué un rôle fondamental non seulement pour imposer leur instrument comme soliste (au même titre que le piano ou le violon) mais aussi dans les ensembles d’instruments à vent. Taffanel, auteur d’un Quintette en sol mineur, est devenu chef de l’orchestre de l’Opéra de Paris, mais il a également fondé une société de musique de chambre pour instruments à vent qui a connu d’emblée un succès fulgurant auprès des compositeurs, du public et de la critique [2].

Les musiciens et les instruments

Ce succès tient également à la personnalité de chaque membre du groupe, contrairement au quatuor à cordes dont on retient plus le nom de la formation que celui des musiciens qui les composent (sauf lorsqu’un musicien lui donne son nom, comme pour le quatuor Arditti). Alors que les individualités s’effacent dans le quatuor au profit d’une idée sonore collective, le quintette à vent réunit des personnalités affirmées, dont la notoriété est confirmée. Dès la fin de la guerre, le hautboïste Pierre Pierlot réunit autour de lui les grandes stars du moment pour former le Quintette à vent français, avec notamment le clarinettiste Jacques Lancelot et surtout le flûtiste Jean-Pierre Rampal. Notons que les instruments les plus médiatisés sont avant tout la flûte, la clarinette et le hautbois, car leurs instruments ont plus su s’imposer comme solistes tant au sein de l’orchestre, qu’en musique de chambre, ou comme concertistes. Aujourd’hui, les « Vents français » sont fondés notamment autour d’Emmanuel Pahud, Paul Meyer et François Leleux. Cette appellation est une sorte de label désignant une génération d’instrumentistes à vent français, renommés pour leurs qualités de concertistes. Ils se réunissent régulièrement dans le même esprit que celui de la société de Taffanel, dont ils jouent abondamment le répertoire, tout en suscitant de nouvelles œuvres.

La plupart des musiciens qui fondent un quintette à vent ont été (ou sont encore) des musiciens d’orchestre, et recrutent parmi leurs collègues au sein de la même formation. Déjà habitués à jouer ensemble, la cohérence du groupe est mieux assurée, tout en permettant à chacun de trouver un espace d’expression qu’il n’a pas à l’orchestre. Pensons au Quintette Debussy (Opéra National de Paris), par exemple. D’ailleurs, certains noms de groupes font volontairement référence à l’orchestre dont les membres sont issus : ensemble Wien-Berlin (Orchestres philharmoniques de Berlin et de Wien).

Le quintette offre une certaine diversité des timbres et des individualités. Au-delà de l’instrumentation, il y a tout un travail de recherche de sonorités, au sein d’un cadre connu (celui de l’orchestre). Pour les compositeurs, souvent sollicités par les musiciens, cela constitue un défi intéressant, car ils sont amenés à prendre en compte à la fois l’alchimie de la formation et les spécificités des instruments (notamment pour la production du son : anche simple, double, lipale, brisure du jet d’air contre un biseau).

Mais l’élément le plus fondamental du quintette est le souffle. La respiration unit les membres de la formation, en ce sens qu’ils y sont tous soumis sans exception. Le souffle devient d’ailleurs l’enjeu de nombreuses pièces ; c’est une problématique que le compositeur ne peut pas éluder. En revanche, il peut choisir d’accorder à chaque instrument le même rôle qu’à l’orchestre (en tenant compte toutefois du fait qu’il ne dispose plus du tapis des cordes) ou au contraire, le détourner de cette fonction.

L'âge d'or

Au XXe siècle, la formation connaît un véritable engouement, notamment car les compositeurs sont séduits par l’excellence des interprètes : non seulement leur virtuosité, mais aussi leur présence, leur personnalité.

Cet âge d’or est avant tout français. Les pièces adoptent un caractère joyeux, ludique, humoristique, divertissant, avec une certaine influence du jazz. Les membres du groupe des Six sont particulièrement représentatifs de cet esprit. Le contexte historico-politique aidant, ces musiques sont aux antipodes du romantisme germanique. Le cor ne rappelle plus l’esprit sylvestre, fantastique ou héroïque des opéras de Weber (la « gorge aux loups » du Freischütz) ou Wagner (le personnage de Siegfried) : la gravité, la transcendance ou le caractère pictural font place à la légèreté et la joie de vivre. Dans cette période, les compositeurs français ayant contribué à enrichir le répertoire du quintette sont nombreux. Certains ont même essayé de faire perdurer cet esprit après le Second Conflit Mondial, mais le contexte n’était plus le même. Citons Jacques Ibert, Florent Schmitt, Guy Ropartz, Darius Milhaud, Paul Pierné, Henri Tomasi, André Jolivet. Le Sextuor de Poulenc participe de la même veine, bien qu’il rajoute un piano au quintette à vent. Enfin, signalons le cas des compositeurs étrangers qui ont été imprégnés pendant un temps de cet esprit, après avoir fréquenté Nadia Boulanger : parmi eux, Elliot Carter.

Le monde germanique n’est pas en reste. Bien qu’il ne soit pas aussi prolifique, il produit quelques œuvres marquantes avec des compositeurs renommés, comme Alexander von Zemlinsky, Paul Hindemith, et surtout Arnold Schönberg. Si les quintettes français jouaient avant tout sur l’articulation, les quintettes germaniques travaillent plus en revanche sur la profondeur du son. L’esprit romantique s’est également effacé au profit d’un caractère plus abstrait, propice aux expérimentations d’écriture.

On pourrait dire en simplifiant un peu, que les quintettes à vent sonnent comme la langue maternelle de leur auteur, bien plus que les formations à cordes. Ceci tient à la nature des instruments à vent, qui obligent les musiciens à respirer, mais aussi à attaquer les sons avec la langue (et non avec un archet ou des baguettes).

Ailleurs encore, le quintette se développe avec des compositeurs tels que l’américain Samuel Barber, le hongrois Sándor Veress, l’anglais Malcolm Arnold ou le danois Carl Nielsen. Outre les pièces originales, les instrumentistes réalisent (ou sollicitent) avec plus ou moins de bonheur de nombreux arrangements afin d’enrichir leurs programmes de concerts et de diversifier les styles et les époques : pièces brillantes, thèmes célèbres (notamment d’opéras), et même parfois de la variété ou du rock (Egg, Lady Gaga, Queen).