Du second XXe siècle à aujourd'hui
Quelques tendances dans l'écriture
Écritures et pratiques expérimentales

Dans son opus 26, Schönberg applique pour la première fois la méthode sérielle à une grande forme, pour renforcer les formes classiques (sonate, scherzo ternaire, rondo). Grâce à un travail polyphonique très poussé, le compositeur engendre une œuvre d’une durée de quarante minutes environ en quatre mouvements à l’aide d’une seule série.

Comme à son habitude, le compositeur notifie les voix principales, avec un H pour Hauptstimme, ce qui guide le lecteur de la partition à travers une polyphonie très dense. Le travail d’instrumentation permet de distinguer les différents motifs et plans.

L’exemple des mesures 104 à 106 du premier mouvement montre une grande richesse dans le traitement de la polyphonie sérielle d’un petit motif en Hauptstimme. Celui-ci est d’abord énoncé par le basson, puis repris en rétrograde par la flûte (mes. 105) deux doubles-croches plus tard. Il n’est pas tout à fait strict quant aux intervalles, mais respecte globalement le profil mélodique (selon le rétrograde) et reprend scrupuleusement le schéma rythmique. Exactement une mesure plus tard (fin de la mesure 105 et mes. 106), le hautbois reprend le rétrograde de la flûte (quasiment comme dans l’original présenté par le basson), mais avec des valeurs rythmiques plus courtes. Deux doubles-croches plus tard (mes. 106), la clarinette présente à son tour le rétrograde du hautbois avec la même rythmique (donc l’original de la flûte quant aux intervalles).

Exemple 1 : SCHÖNBERG Arnold, Bläserquintett op. 26, Londres, Universal Edition, UE 7668, s.d., 1er mouvement, mesures 104-106, p. 11. Tous les instruments sont écrits en ut.

On notera au passage l’intrication du basson et de la flûte d’une part, du hautbois et de la clarinette d’autre part. Les notes ne tombent jamais de manière simultanée mais toujours en décalage, énonçant l’une après l’autre les 12 hauteurs du total chromatique. En effet, Schönberg travaille avant tout sur le potentiel canonique de son matériau.

Le choix des nuances et surtout celui des instruments permet de distinguer au mieux ces Hauptstimmen dans leurs imbrications, mais aussi par rapport aux éléments secondaires. La polyphonie de ce passage reste très dense avec deux autres voix à la mesure 106 exposées à la flûte et au cor (en inversion) de manière homorythmique.

Les identités instrumentales bien différenciées du quintette à vent permettent donc à l’oreille de comprendre et suivre les différentes voix dans ce genre de passages. Mais le compositeur s’en sert également pour mettre en valeur des motifs précis. Par exemple, on observera de quelle manière il insiste sur l’intervalle de 10e majeure (qu’elle soit ascendante ou descendante) aux mesures 92-93 du premier mouvement : en l’espace de deux mesures, elle est jouée successivement par quatre des instruments comme tête d’un motif en Hauptstimme.

Exemple 2 : SCHÖNBERG Arnold, Bläserquintett op. 26, Londres, Universal Edition, UE 7668, s.d., 1er mouvement, mesures 92-94, p. 10. Tous les instruments sont écrits en ut.

Il est intéressant de souligner que Schönberg utilise le quintette à vent pour développer sur une pièce d’envergure cette toute nouvelle technique sérielle, pour laquelle il n’a pas encore de recul. En effet, cette formation permet de distinguer assez aisément les différents plans et donc d’expliciter le travail canonique issu notamment de la technique d’inversion et des effets de miroir, qui constituent un aspect important de son travail [1]. D’ailleurs, en parlant des instruments de l’orchestre, le compositeur affirme justement que « la couleur des timbres sert surtout à mettre en relief le fil des idées, à faire mieux ressortir les éléments essentiels et à rejeter les autres dans l’ombre » [2].