La représentation graphique enactive effectuée durant l’audition de rythmes percussifs est une activité multimodale complexe qui relève de l’interaction entre la perception auditive, visuelle et kinesthésique, la motricité fine, la cognition et l’émotion. L’expérience menée auprès d’auditeurs prélecteurs permet de considérer ces formes dynamiques graphiques adaptées à la description d’un flux sonore rythmique. En effet, l’analyse des résultats valide les hypothèses opérationnelles concernant l’effet de l’audition de rythmes sur les traçages produits en temps réel par des enfants de cinq ans. Elle montre l’existence de liens solidement établis entre des propriétés rythmiques d’intensité et de durées et des propriétés graphiques dynamiques et formelles, comme suit :

Tableau 11 : Effets de propriétés rythmiques d’intensité sur la forme dynamique graphique

Tableau 12 : Effets de propriétés rythmiques liées aux durées sur la forme dynamique graphique

On constate également l’incidence de propriétés rythmiques liées au timbre sur certaines propriétés graphiques :

Tableau 13 : Effets de propriétés rythmiques liées au timbre sur la forme dynamique graphique

Les formes dynamiques graphiques s’avèrent relativement indépendantes de l’âge et du genre des individus. Cependant, l’on observe quelques tendances de variabilité des traçages suivant ces deux critères. Ainsi, sur le plan de la dynamique graphique, les traçages des enfants les plus âgés ainsi que ceux des filles présentent des vitesses plus régulières et plus modérées que ceux des enfants les plus jeunes et des garçons. La forme graphique est également un critère pertinent de différenciation des propriétés rythmiques, indépendamment de l’âge et du genre des sujets. Toutefois, les enfants les plus âgés tendent à structurer plus systématiquement l’espace de la feuille. Ils produisent plus de boucles et moins de zigzags que les plus jeunes et des tracés de taille moindre et de forme variant durant le traçage. Ils tracent plus fréquemment des formes périodiques que les enfants de milieu et de fin d’année qui sont moins précis dans la représentation formelle d’éléments rythmiques périodiques et dont les graphismes apériodiques sont plus nombreux. Les filles produisent plus de boucles et des graphismes de grande taille, qu’elles peuvent modifier en cours d’item, alors que les garçons tracent plus de zigzags et des graphismes de taille moyenne. L’analyse des liens entre propriétés rythmiques et graphiques indique que la synchronisation audio-graphique est facilitée par des propriétés rythmiques de simplicité, de périodicité, d’accentuation, de segmentation interne et de groupement en motifs, de cyclicité, et de tempi constants, proches de 140 bpm, le tempo moteur spontané des enfants de cinq ans. En revanche, une fréquence de frappes très élevée ou un rallentando provoquent une désynchronisation du graphisme en cours d’item tandis que des structures rythmiques complexes ou irrégulières engendrent une arythmie motrice. Si la majorité des sujets montre la volonté de coordonner des éléments graphiques avec des éléments rythmiques, les plus âgés, à quelques mois près, et les filles sont plus performants dans cette activité. L’analyse de l’appariement du rythme et du graphisme met en évidence les productions graphiques de trois filles, deux étant parmi les enfants les plus âgés, dont les vitesses de traçage sont les plus corrélées à l’intensité [2] des rythmes. Ayant supposé initialement que les propriétés dynamo-agogiques rythmiques sont vectrices de mouvement musical, on considère les mouvements graphiques de ces sujets comme les plus approchants du mouvement rythmique. Des études transversales et longitudinales devraient permettre de vérifier à plus grande échelle ces premiers résultats expérimentaux et d’intégrer à l’analyse intersubjective des aspects cognitifs, culturels et sociaux.

Au terme de cette recherche exploratoire, il s’avère encore nécessaire d’approfondir l’analyse des schèmes graphiques de l’auditeur en vue d’étudier plus précisément la nature et le fonctionnement de l’expressivité musicale. Selon l’hypothèse de R. Francès, les qualités expressives de la musique sont fondées sur des schèmes cinétiques et sur des schèmes de tension-détente, schèmes musicaux qui peuvent s’actualiser dans l’activité motrice de l’auditeur et dans son état de tension intérieure durant l’écoute. L’expérience de traçages effectués en temps réel durant l’écoute de rythmes parvient à montrer que les schèmes cinétiques graphiques peuvent être rapportés aux schèmes cinétiques rythmiques. En effet, la coordination d’aspects cinétiques rythmiques et graphiques confirme l’hypothèse selon laquelle l’information de vitesse véhiculée par l’évolution temporelle des propriétés rythmiques d’intensité et de durée est convertie par l’auditeur en un mouvement graphique d’une vitesse correspondante. En ce sens, le mouvement de motricité fine peut être considéré comme analogue au mouvement musical rythmique. Toutefois, la simplicité des patterns percussifs proposés, dont le principal objectif visait à attribuer une cause rythmique claire aux réactions graphiques de l’auditeur, ne permet pas de caractériser de façon précise le mouvement sonore musical. A cette fin, deux prolongements de recherche sont envisagés, avec d’une part, l’étude de l’effet engendré sur les mouvements graphiques de l’auditeur par des rythmes musicaux plus complexes, combinant des propriétés variées en intensité, durées et accents, et l’analyse affinée des traçages suivant leur dynamique (variété et variations de vitesse) et leurs caractéristiques figurales (amplitude, direction, forme), et d’autre part, l’approche de schèmes musicaux de tension-détente via les tensions musculaires et émotionnelles de l’auditeur mesurées par la pression graphique [3] durant l’écoute de rythmes. A l’appui d’une large revue de littérature actualisée, ces voies de recherche empirique sont susceptibles d’avancées scientifiques sur l’expressivité musicale supposée intimement liée au mouvement rythmique.