Introduction

La naissance d'un projet

L'idée de Natureza Morta — Visages d’une dictature a commencé à prendre forme en 2000, date à laquelle la réalisatrice a eu l’accès, dans les archives de la police politique portugaise (PIDE/DGS), aux grands albums contenant de nombreuses photographies des prisonniers politiques : les triptyques habituels des cadastres. C’est lors de cette même année que la réalisatrice a entamé une recherche dans les archives de l'armée et a découvert la plupart des images en mouvement qui sont à la base de la construction du film. Le scénario de Natureza Morta — Visages d’une dictature a commencé à être écrit en 2002. Le film est entré en phase de montage en novembre 2003 et a été achevé en mars 2005. La note d’intentions du projet nous donne un compte-rendu des enjeux.

L'idée de la structuration du film trouve son origine dans Natureza Morta com Ruídos de Sala, Efeitos Especiais e Claquette (Nature Morte avec bruitage, effets spéciaux et clap), une étude de musique électroacoustique d’une durée de 8 minutes de António de Sousa Dias.

Mais cette pièce est aussi la métaphore de l’installation d'un monde, comme l'est n'importe quelle nature morte : une création d'espaces et de mises en scène, de représentations et d’agencements.

C’est à travers cette étude qu’a été trouvé le concept clé du film.

Le concept

Fondé sur cette composition musicale, le film se développe à partir du concept d'exposition.

Ce concept doit être compris dans son sens le plus direct — l’action de placer quelque chose à la vue d'autrui (les expositions d'art, par exemple) —, mais aussi sous sa forme la plus large : comme moyen selon lequel un objet reçoit la lumière ou est sujet à l'influence de quelque agent extérieur ; comme spécification ou rapport que l'on se fait de quelque chose; comme présentation de thèmes principaux ou de motifs thématiques (dans une composition musicale, par exemple). En somme, comme une action impliquant un espace et un temps déterminés, espace et temps qui sont variables selon chaque individu ou substance.

Ainsi, à travers la création de topos dont le contenu/mode d’occupation renvoie à chacune des différentes facettes de la dictature portugaise (une topographie de l'État Nouveau), le film amène le spectateur à suivre un parcours spatio-temporel non linéaire, lui révélant les différents aspects non seulement d'un régime autoritaire mais aussi de l'action des hommes face à leur condition.

Ce parcours se développe selon des procédures dysnarratives. Les blocs ("salles") et les séquences respectives sont interconnectés au travers d'entrecroisements multiples, de sorte qu’ils permettent à différents temps de coexister, et non à travers une forme spatio-temporelle continue, selon la relation de cause à effet caractéristique des récits traditionnels. Les blocs ainsi combinés permettent au spectateur d'avoir une autre ouverture face aux images qui lui sont présentées. La question n’est plus de prévoir ce qu’il va voir dans l'image suivante, mais de l'amener à voir et à se concentrer sur l'image présente.

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