La quintina en une voix seule.
Dissection d'une illusion acoustique.
Giuliano d'Angiolini
Explications théoriques.
En 2009 j'ai publié un essai qui analysait un chant paraliturgique de tradition orale : le Jesu de Castelsardo, en Sardaigne[1]. Cette publication proposait une nouvelle approche théorique d'un phénomène acoustique très singulier propre aussi bien à ce chant, qu'à d'autres polyphonies de cette région de l'île : celui de la quintina. La musique de ce genre d'ensemble vocal – nommé cuncordu – se caractérise par l'enchaînement de blocs d'accords réalisés par quatre voix, appelées (du grave vers l'aigu) : bassu, contra, bogi, falzittu.
La quintina consiste en l'apparition, au sein du chœur, d'une cinquième voix aiguë qui se situe à l'octave supérieure de la voix principale, celle à laquelle est confié le « cantus firmus ».
Exemple sonore 1. La quintina au sein de l'ensemble vocal [2].
Cette « cinquième voix » peut être qualifiée de « virtuelle » : aucun interprète ne la chante directement et pourtant elle se présente distinctement à l'oreille, comme étant la résultante d'un phénomène complexe à la fois acoustique et psychoacoustique. Dans mon écrit, j'indiquais trois conditions essentielles à sa production. Je les résume ici, par ordre d'importance :
Pour une exposition détaillée de la problématique, de l'analyse et de l'argumentation sur ce sujet, je renvoie le lecteur à mon livre. Il me faut toutefois souligner que la « cinquième voix » apparaît et se détache avec clarté, seulement lorsque se rencontrent les circonstances énoncées plus haut. Ce que j'avance ici peut être vérifié à l'analyse du sonogramme de l'enregistrement qui nous a servi de référence[5]. Dans d'autres exécutions du Jesu, ces conditions ne sont pas réunies : aucune quintina ne sortira alors[6].
[1] Giuliano d'Angiolini, Jesu, un chant de confrérie en Sardaigne, Éditions Delatour France, Sampzon, 2009.
[2] Il s'agit d'un extrait du Jesu chanté à Castelsardo. Ce passage est tiré du CD réalisé par Bernard Lortat-Jacob : Sardaigne. Polyphonies de la Semaine Sainte, Collection du Centre National de la Recherche Scientifique et du Musée de l’Homme, Le Chant du Monde, LDX 274 936.
[3] Pour plus de simplicité dans le calcul, on considère la fondamentale comme « harmonique 1 » et on appelle le premier harmonique, proprement dit, « harmonique 2 », etc. Ainsi, les relations entre les numéros d’ordre des harmoniques correspondent aux rapports mathématiques entre leurs fréquences.
[4] L'harmonie, dans cette musique, est constituée par une succession d'accords majeurs qui sont, le plus souvent, en position fondamentale (par ex. : la1 / mi2 / la2 / do#3). Le contra et la bogi sont en rapport de quarte juste, l'harmonique 4 de l'un et l'harmonique 3 de l'autre coïncident. L'accord peut se présenter, dans une moindre mesure, au retournement de quarte et sixte ; le contra et la bogi sont alors en rapport de tierce majeure : dans ce cas, un écart de demi-ton sépare l'harmonique 3 de la bogi de l'harmonique 4 du contra. Cependant celui-ci s'impose par sa forte dynamique et par un vibrato très ample (un demi-ton) en recouvrant partiellement celui de la bogi. De plus, dans cette disposition de l'accord, l'harmonique 3 de la bogi coïncide également avec l'harmonique 5 du bassu, qui peut contribuer à estomper sa présence. Il faut toutefois que l'harmonique 3 de la bogi soit, au départ, de moindre intensité.
[5] Cf. G. d'Angiolini, op. cit., pag. 65 – 71.
[6] Voir, par exemple, la version du Jesu enregistré par Renato Morelli et Pietro Sassu en 1985, faisant partie du coffret : Canti liturgici di tradizione orale, 4 disques vinyle, P. Arcangeli, R. Leydi, R. Morelli, P. Sassu, Albatros, Alb 21, 1987 (disque 3, plage 4).