Analyse pièce par pièce avec les descripteurs audio
Pièce n° 10 - Presto bizarro e rubato, so schnell wie möglich, basson soliste,
effectif : flûte piccolo / hautbois / clarinette / cor / basson
La pièce qui clôt le cycle a pour soliste le basson. Elle renoue avec la veine burlesque (presto bizzaro e rubato, aussi vite que possible) du mini-concerto pour clarinette et en reprend le principe d’une texture fragmentée articulée autour des traits du soliste surlignés par les autres instruments. Là encore, une grande virtuosité est de mise pour le basson avec l’exploration des tessitures extrêmes et l’usage de traits rapides. La pièce repose donc presque entièrement sur les épaules du bassoniste. Néanmoins, la synchronisation avec les autres instruments nécessite une grande attention.
Le tempo dans cette pièce est lié aux capacités techniques du bassoniste et à ses intentions expressives, les autres instruments devant le suivre (colla parte). Avec les changements de tempo inscrits dans la partition et la liberté temporelle donnée à l’interprète, cette pièce a un tempo très instable. Ligeti mentionne dans une note de la partition (p. 33) que « parfois le basson joue exagérément vite, alors la vitesse est plus importante que la précision de l’intonation ». Nous nous intéresserons donc ici seulement aux variations de tempo sans tenir compte de leurs incidences sur l’intonation ou sur les articulations. Les profils de tempo ont été extraits manuellement à l’aide de Sonic Visualiser (un marqueur à chaque temps) [1]. Sur l’exemple n° 10, qui représente les profils de tempo des trois versions, on peut d’emblée remarquer une nette différence de vitesse entre la version sur-expressive et les deux autres. Le tempo de la version sur-expressive est systématiquement au-dessus. Ceci est confirmé par la moyenne nettement plus élevée du tempo de la version sur-expressive (121,12) que dans la version expressive (98,59) et la version neutre (91,43), cette dernière étant légèrement plus lente que la version expressive. Les écarts-types montrent que la version sur-expressive se démarque aussi par son instabilité plus forte (E : 26,75, N : 31,18, S : 46,66). Dans le cas de la pièce n° 10, on ne peut pas mesurer précisément la relation au tempo théorique en raison des nombreux changements de tempo notés dans la partition. Cependant, on peut observer sur le graphique (Exemple 10) des divergences par rapport au texte. Ainsi, les pauses (mm. 2, 4, 12) sont écourtées dans toutes les versions, mais beaucoup plus dans la version sur-expressive. La tenue de flûte seule (mm. 19-21) est extrêmement écourtée dans la version sur-expressive. Dans cette même version, le pochissimo rallentando (m. 10) est remplacé par un accelerando et un large rallentando. En résumé, on constate, du point de vue du tempo, un écart important entre la version sur-expressive et les deux autres versions qui sont relativement proches l’une de l’autre.
La désynchronisation entre les instrumentistes est un deuxième facteur important pouvant différencier les versions. La différence est particulièrement audible entre la version neutre, très désynchronisée, et les versions expressives et sur-expressives. Cependant, dans le cas de cette pièce c’est une constatation difficile à visualiser ou à mesurer. J’ai donc choisi un extrait particulièrement représentatif de la désynchronisation : la mesure 6 à partir du a tempo jusqu’à la fin de la mesure 7 où le hautbois, la clarinette et le cor ont des attaques synchrones avec le basson. J’ai effectué une analyse des attaques (onsets) avec la MIR toolbox (Exemple 11). Les passages avec synchronisation sont représentés par les plus grands pics de la courbe. La courbe de la version neutre n’a pas le même profil que celles des deux autres versions. Elle possède plus de micro-pics qui correspondent aux attaques désynchronisées des instrumentistes. A l’audition, la synchronisation de la version expressive semble meilleure que celle de la version sur-expressive. Afin de vérifier cette impression auditive, j’ai effectué une analyse de clarté de la pulsation (pulse clarity) des mêmes extraits, toujours avec la MIR Toolbox. Les valeurs obtenues montrent que la version neutre est effectivement plus brouillonne rythmiquement parlant (0.16), alors que la version expressive possède la valeur la plus haute (0.19), légèrement au-dessus de la version sur-expressive (0.17).
Exemple 10. Pièce n° 10 : profils de tempo.
Exemple 11. Pièce n° 10 (mm. 6.3-7.4) : détection d’attaques (de haut en bas E, N, S).
Extraits audio 19-21