
L’Expérience du Son et l’Essence de la Musique : L’exemple de Giacinto Scelsi avec la famille des saxophones
Pierre Albert Castanet
L’Expérience du Son et l’Essence de la Musique :
L’exemple de Giacinto Scelsi avec la famille des saxophones
Aimant les aphorismes pertinents et cultivant les adages congruents, Giacinto Scelsi (1905-1988) n’a-t-il pas révélé avec sapience que « la musique a besoin du son », mais aussi que « le son peut exister sans la musique[3]» ? Je délaisserai aujourd’hui la part des contextes spirituels[4] inhérents à l’œuvre et la pensée de l’artiste italien pour me pencher sur celle du cœur « vivant[5]» de sa musique, à savoir le Son. J’observerai en amont que cette fameuse focalisation sur la « chair du son » (comme disait le poète Michaux qui était ami de Scelsi) s’est en fait particulièrement référée aux écrits de Rudolf Steiner (le maestro possédait notamment, dans sa bibliothèque de la rue San Teodoro à Rome, l’ouvrage décisif intitulé L’Essence de la musique – L’Expérience du son[6]).
Dans ce cadre a priori plus matérialiste qu’épistémologique, le compositeur avouait sans ambages : « Puisque le son opère par des lois de correspondance avec les éléments humains et que, d’autre part, il est prouvé que la répétition d’une formule produit un résultat particulier : physique, moral ou spirituel (d’où la simple théorie de Coué sur la répétition d’une phrase pour l’amélioration de la santé et, naturellement, toute la doctrine du japa hindou, qui est basée sur cette répétition et entraîne des réalisations absolument spirituelles), la musique, par la répétition d’un son ou d’une forme sonore, par sa correspondance avec les éléments fondamentaux de l’homme, tend à produire, et à reproduire, certaines modifications dans leurs rapports d’équilibre[7]»…
Avertie de ces prolégomènes, la présente étude (issue d’une réflexion opérée lors d’une classe de maître à la Cité de la musique et de la danse de Strasbourg) s’est attachée à quelques exemples relatifs à la famille du saxophone[8] (une lignée d’instruments transpositeurs singuliers, malléables à merci et au registre à la fois sensible et extensible). Après une présentation liminaire tentant de cerner quelques facettes du rapport idéologique de Scelsi au « Son », nous verrons comment le musicien – en plus du jeu académique demandé élémentairement dans les conservatoires – a parfois laissé ouvert le choix de la couleur acoustique globale mais aussi comment il a pu être tenté de délivrer ou d’augmenter l’instrument à anche par quelques artifices locaux de dévergondage circonstancié…
[1] Ernst Bloch, L’Esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, 1977, p. 173.
[2]Giacinto Scelsi, Il Sogno 101 (dir. L. Martinis et A. C. Pellegrini, coord. Sh. Kanach), Arles, Actes Sud, 2009, p. 276.
[3] À la suite, le musicien complétait : « la religion a besoin de la mystique, mais la mystique peut exister sans la religion » (Giacinto Scelsi, « Force cosmique », Les anges sont ailleurs…, dir. Sh. Kanach, Arles, Actes Sud, 2006, p. 153). Sur ce point particulier, lire également Il Sogno 101, op. cit., p. 201.
[4]Dans ce cadre, le compositeur n’est-il pas allé jusqu’à estimer que « le son est la mystique dans son absolue pureté » ? (Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 201).
[5]Solomos a en effet fait remarquer que le son de Scelsi était qualifié par le maestro de « vivant » (Cf. Makis Solomos, De la musique au son – L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 267).
[8]Augmenté à souhait, le texte de cet article provient en effet d’une conférence donnée par nos soins, à l’invitation de Pierre Michel. Intitulée pour la circonstance « La culture du son saxophonistique chez Giacinto Scelsi », notre intervention faisait partie du programme de journées d’études spécialisées, baptisées Les cultures du son au saxophone autour de Joshua Hyde (Strasbourg, Cité de la musique et de la danse, 14-15 mars 2024).
À propos des grandes généralités de la philosophie scelsienne du « Son »
Je l’ai repéré en exergue de cet exposé, le grand principe révolutionnaire de l’éthique du musicien-poète s’est – peut-être instinctivement et pourtant avec justesse – foncièrement concentré sur le matériau acoustique (le « Son »[9] étant considéré par Scelsi comme figurant le « premier mouvement de l’immobile[10]», sa force « cosmique[11]» se situant à la base de tout[12]…). En effet, dynamique[13] à souhait (même dans le positionnement de la contemplation auditive paraissant scruter les effets acoustiques les plus statiques), une très grande partie des musiques du compositeur semble respecter le choix univoque et primordial de la matière sonore et de sa profonde résonance – autant d’éléments accusant un hypothétique « symbolisme des mythes », une sorte de figuration quelque peu hallucinée mise en acte au travers d’un ingenium prodigieux[14]. Relevant autant de qualités innées, d’orientations intellectuelles que de différentes formes d’inspiration ou d’invention, ce type de dispositions a induit en fin de compte une kyrielle de gestes et de démarches de type tantôt intuitif ou inspiré, tantôt rationalisé ou codifié[15] – ce que le compositeur Domenico Guaccero a entrevu à sa façon au travers de l’idée d’un dialogisme plus ou moins éclairé, celui de « l’obscurité de l’inconscience » et de « la lumière de l’intellect[16]». Partagé donc entre un genre de « langage qui se signifie lui-même[17]» et un environnement qui laisse libre cours à un imaginaire débridé, l’art de Scelsi n’est, in fine, que nécessaire fantaisie (métaphoriquement transmise à distance par des Dieux immatériels[18]). Dans de telles circonstances parfois spirituelles, il n’est pas rare de considérer « le Son » comme élément pouvant prendre « n’importe quelle forme, comme celle d’un dodécaèdre, d’un cigare ou d’un papillon[19]», expliquait Scelsi, non sans un brin de malice.
Concernant l’artisanat furieux d’une imagination inaccoutumée, Duvignaud estimait que « l’homme de l’imaginaire se défie autant des sirènes de la tradition que des rêves endormis dans on ne sait quel terreau d’archaïsme : parce qu’il anticipe sur le consensus moyen et les émotions blasées, il avance masqué.[20]» En vertu de cela – et toutes proportions gardées – est-ce à dire qu’il s’agirait là d’aborder le punctum remotum discrètement convoité par les âmes créatrices, ce point d’horizon abruptement paisible que cherche en secret chaque artiste philosophe (ou « contre-philosophe ») en quête d’irruption soudaine de l’infini sonore dans le fini personnel tourmenté ? En effet, ne pourrait-on pas évoquer les aboutissants plausibles d’une « contre-philosophie » du son[21], celle qui engloberait « diététique des désirs et arithmétique des plaisirs », principes supposant « un ajustement permanent de la théorie et de la pratique, des faits et de la doctrine, de l’épiphanie de tout événement et de la réaction la plus appropriée pour la vivre en occasion de jubilation et non en facteur de trouble[22]» ?
Illuminé par les feux et jeux hautement paradoxaux régissant l’activité/passivité de la création, Scelsi chérissait, en pleine conscience suprême, les arcanes d’un art spécifique et unique en son genre. Spécialisé à terme dans l’univers acoustique aux propriétés non académiques, il vivait viscéralement le « Son » en prenant garde de surclasser l’impact, l’onde, l’aura, la couleur[23], la vibration, le battement[24], la résonance, l’entretien, le parasite, la durée et même le silence à peine troublé. Comme le formulait autrefois Gaston Bachelard, « l’impureté, au regard de l’inconscient, est toujours multiple, toujours foisonnante ; elle a une nocivité polyvalente[25]». Dans cet univers particulier, notre musicien a déclaré à plusieurs reprises que « c’est le son qui compte, bien plus que son organisation, laquelle varie selon les époques, les peuples, les latitudes et le milieu – même en Europe.[26]» De plus, je l’ai souligné en médaillon introductif, l’artiste affirmait que le « Son » était « sphérique » et que l’instrumentiste devait chercher à aller son expression au « cœur du son[27]».
Au creux de cette sphère au contenu dédaléen, « il n’y a pas un avant et un après dans la musique centripète de Scelsi, mais une fluctuation incessante de la composition autour d’un axe fortement polarisé […][28]», a déduit le chef d’orchestre Marco Angius. Il faut savoir par ailleurs que pour l’auteur de Konx-Om-Pax, le « principal » était que « la musique ne produise pas un son confus. Il y aurait beaucoup à dire sur ces concepts de confusion et d’ordre, disons plutôt de son juste. […][29]», avait-il répété dans ses nombreux textes portant sur l’expression artistique. De surcroît, désirant projeter mentalement l’information du centre vers la périphérie, Scelsi a toujours mis en avant que le « Son » devait posséder la vertu de s’exprimer avec toute l’ambiguïté d’une énergie à la fois poétique et métaphorique[30]. Ainsi, comme le remarquait l’écrivain dramaturge Stefan Zweig, « produire » pour l’artiste doit toujours signifier « réaliser, faire passer de l’intérieur à l’extérieur une vision intérieure, une image onirique que son esprit a vue dans une forme parfaite, la porter dans notre monde en recourant à ce matériau rétif qu’est la langue, la couleur et le son.[31]»
Afin de clore cette première partie consacrée aux grandes généralités de la philosophie du « Son »[32] scelsien, j’ai tenu à sélectionner quelques avis provenant de commentateurs informés (un enseignant chercheur, un homme de radio et une interprète de renommée internationale), trois personnalités dont la parole peut être utile pour aborder le sujet : Tout d’abord, le musicologue philosophe Enzo Restagno a exposé que « le son unique » était un cosmos, « un cosmos qui respire : la musique de Scelsi acquerra dans son avancée une extraordinaire capacité de mimétisme de la respiration, une sorte de macro-rythme biologique qui tient ensemble formellement l’infini fourmillement de micro-événements[33]». Deuxièmement, selon Marc Texier (qui a été producteur à France Musique), le compositeur portait deux déités en lui : « Un dieu terrible qui use de la toute‑puissance du son pour jeter bas notre cité imaginaire, les jardins suspendus de la polyphonie. Mais aussi un dieu du détachement, de la sérénité, de la méditation, qui invite à pénétrer le son en laissant à la porte notre savoir comme d’inutiles sandales…[34]» Enfin, à propos de la musique de l’auteur du Réveil profond, la contrebassiste Joëlle Léandre confiait encore : « quand tu la joues, tu rentres dans le son, jusqu’au cœur du son, de la vibration d’un son, tu deviens son ; c’est une musique très spirituelle, qui te tire vers le haut[35]»…
En dehors de Joëlle Léandre, Scelsi a été séduit par quelques virtuoses chevronnés[36] qui ont tous créé avec gourmandise (sans « bizarreries » ni « facéties »[37]) ses multiples essais de transcription sur papier réglé. Parmi celles et ceux qui ont offert de réelles lettres de noblesse à l’œuvre saxophonistique de notre improvisateur-compositeur, je peux sélectionner pêle-mêle – parmi tant d’autres – Daniel Kientzy, Jean-Pierre Caens, Claude Delangle, Suzan Fancher, Pierre-Stéphane Meugé, Marcus Weiss, Marie-Bernadette Charrier, Brendan W. Kelly, Sean McGinley, Michele Selva, Pablo Martin Santamaria, Violaine Gestalder, David Hernando Vitores, Kevin Juillerat… À ce propos, faut-il nous souvenir que déjà pour Hector Berlioz, en 1842, le saxophone – « chef d’une nouvelle famille, celle des instruments de cuivre à anche » – savait montrer un son « plein, moelleux, vibrant, d’une force énorme, et susceptible d’être adouci[38]» ?
[9]Cf. Pierre Albert Castanet, Nicola Cisternino (dir.), Giacinto Scelsi, Viaggio al centro del suono, (préface J. Cage), La Spezia, Lunaeditore, 1993 (2e éd. augmentée 2001). En complément, Pierre Albert Castanet, « Ambivalence et ambiguïté du son de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui (dir. P.A. Castanet), Paris, Centre de Documentation de Musique Contemporaine, 2008, p. 105-120. Compulser également Michele Biasutti, « La poetica del suono di Giacinto Scelsi – Analisi di Ko-Lho per flauto e clarinetto », Zeta n°14-16, Udine, Campanotto, 1991, p. 23-28.
[10]Giacinto Scelsi, « Konx-Om-Pax », Les anges sont ailleurs…, op. cit., p. 189.
[11]Giacinto Scelsi, « La puissance cosmique du son » et « Son et musique » (cf. Les anges sont ailleurs…, op. cit., p. 150 et p. 128).
[12]Cf. Irène Assayag, « Le son dans l’œuvre de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 56.
[13]Dans ce contexte, le compositeur a disserté sur le fait que « le son prend forme grâce à son essence dynamique intrinsèque ; il est donc pluridimensionnel » (Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 201).
[14]Cf. Marina Mestre, « Ingenium », Grand Dictionnaire de la Philosophie, Paris, Larousse, 2012, p. 557.
[15]Sur le caractère rationalisé de certaines partitions de Scelsi, voir Christian Utz, « Analysing Scelsi », Giacinto Scelsi – Music across the Borders (dir. F. Celestini), Turnhout, Brepols, 2019, p. 26.
[16]Domenico Guaccero cité dans Lo spettatore musicale n° IV, novembre-décembre 1969, p. 13.
[17]Roman Jakobson, Six Leçons sur le son et le sens, Paris, Minuit, 1976, p. 38.
[18]Voir la petite centaine de références de pages relatives au mot « Dieu » dans l’« index des concepts » du livre de Pierre Albert Castanet, Giacinto Scelsi – Les Horizons immémoriaux – La philosophie, la poésie, la musique d’un ‘sage’ au XXe siècle (préface T. Murail), Paris, Michel de Maule, 2023, p. 447.
[19]Propos scelsiens rapportés par Jean-Noël von der Weid, Le Flux et le fixe – Peinture et musique, Paris, Fayard, 2012, p. 180-181.
[20]Jean Duvignaud, B.-K. Baroque et Kitsch – Imaginaires de rupture, Arles, Actes Sud, 1997, p. 43-44.
[21]Cf. Pierre Albert Castanet, Quand le sonore cherche noise – Pour une philosophie du bruit (préface D. Charles), Paris, Michel de Maule, 2008. Du même auteur, « De l’extra-vocalité dans la musique contemporaine : pour une philosophie du cri », Dire/Chanter : passages – Études musicologiques, ethnologiques et poétiques (XXe et XXIe siècles), Saint-Etienne, Publications de l’Université Jean Monnet / CIEREC, 2014.
[22]Propos de Michel Onfray, Les Sagesses antiques – Contre-histoire de la philosophie, Paris, Grasset, 2006, tome 1, p. 214.
[23]« J’entends, je vois que sortent comme des pensées visibles des sons colorés qui se mélangent entre eux d’une étrange manière »… (Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 280-281).
[24]François-Xavier Féron, « L’esthétique des battements dans la musique de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 221-242.
[25]Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, José Corti, 1942, p. 159-160.
[26]Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 22.
[27]Cf. Giacinto Scelsi, CD INA – Mémoire vive n° 262009, 1988 (prière d’écouter en français la voix de Scelsi présente sur la plage 14).
[28]Marco Angius, « Oublier le son – Premiers micrologues pour une archéologie de la musique contemporaine », Jeux de mémoire(s) – Regards croisés sur la musique (dir. G. Giacco, F. Spampinato, J. Vion-Gury), Paris, L’Harmattan, 2013, p. 160.
[29]Giacinto Scelsi, « Prologue », Il Sogno 101, op. cit., p. 22 (également p. 23). En tous les cas, se référant à l’anahad des Védas, le Son « juste » scelsien semble plus concerner les atours combinatoires de sa morphologie intrinsèque paramétrique (du type de l’incise, la phrase, la période, la hauteur, l’intensité, le rythme, l’espace, la profondeur…) que le strict lien avec l’habillage naturellement extérieur du vecteur timbrique. C’est sans doute en ce sens que l’on peut comprendre que la partition d’Ixor a pu être étiquetée « pour clarinette en Si b ou tout autre instrument à anche » ou que Maknongan soit mentionné « pour instrument grave ou voix de basse » – j’évoquerai l’exemple de ces deux partitions dans les lignes à venir (à propos de l’anahad et de son rapport plus ou moins exact avec la traduction de Scelsi, voir Andrea Di Giacomo, Hors de l’avant-garde – Son, musique et composition chez Giacinto Scelsi dans la production de sa maturité, thèse de doctorat soutenue le 26 juin 2012, Université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis / Università degli studi di Roma « Tor vergata », 2012, p. 75-76).
[30]Cf. Hervé Augier, « L’énergie sonore chez Giacinto Scelsi : rhétorique et autres réalités », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 63-68. Sur un plan plus technique, lire John Robinson Pierce, Le Son musical : musique, acoustique et informatique, Paris, Belin, 2000.
[31]Stefan Zweig, Le Mystère de la création artistique, Paris, Pagine d’Arte, 2017, p. 35.
[32]Chez Scelsi, si l’on souhaite faire valoir que la « philosophie » doit outrepasser le langage basique de la réflexion primaire, il faut alors entendre ce terme à la manière de Shusterman, à savoir « comme mode de vie plutôt que comme simple discours » (cf. Richard Shusterman, « Le philosophe sans la parole », Les Aventures de l’homme en or, Paris, Hermann, 2020, p. 73).
[33]Enzo Restagno, « Giacinto Scelsi et les sphinx sonores », livret du coffret de CD Les cinq quatuors à cordes, Paris, Salabert Actuels, SCD n° 8904-5, 1990, p. 13.
[34]Marc Texier, « La Musique du IIIe millénaire – Portrait de Giacinto Scelsi en quatre épisodes », Paris, Musica Falsa n°3, avril/mai 1998, p. 86.
[35]Joëlle Léandre, À voix basse, Paris, MF, 2008, p. 32.
[36]Parmi bon nombre d’interprètes scelsiens, il faut citer Nikita Magaloff, Frederic Rzewski, Devy Erlih, Michiko Hirayama, Fernando Grillo, Giancarlo Schiaffini, Geneviève Renon, Carmen Fournier, Marianne Schrœder, Carol Robinson, Carine Levine, Frances-Marie Uitti…
[37]« Pas de bizarreries ou de facéties avec la musique. Les interprètes sont seulement des instruments de transmission (comme moi-même) de quelque chose qui est donné et est plus grand qu’eux. Ils doivent respecter ce don et ne rien se permettre qui peut être un jeu personnel » (Giacinto Scelsi, « Una nota manoscritta », I suoni, le onde…, Rivista della Fondazione Isabella Scelsi n°2, 1991, p. 19).
[38]Hector Berlioz, Journal des Débats, 12 juin 1842. Dans ce cadre, l’amateur pourra consulter avec intérêt La technique du son au saxophone de Vincent David (Paris, L’Harmattan, 2023).
La réalité présentielle du saxophone : Tre pezzi
Dans une étude universitaire[39], la saxophoniste américaine Suzan Fancher (élève entre autres du maître français Jean-Marie Londeix) a pris en compte les œuvres orchestrales et pour grand ensemble de Scelsi qui ont naturellement incorporé le saxophone à la phalange instrumentale. Ont ainsi été visitées par le menu les partitions intitulées Yamaon (1954-58), I presagi (« Les Présages » – 1958), Quattro pezzi su una nota sola (« Quatre pièces – chacune sur une seule note » – 1959), Hurqualia (1960), Anahit (1965) et Pranam I (1972). Bien entendu, une fois ces numéros d’opus passés en revue, l’analyse des Tre pezzi (« Trois pièces » – 1956) pour saxophone seul n’a été aucunement oubliée. En général, les commentaires ont traité principalement de la structure des phrases, de l’accumulation des classes de hauteur et de la migration grâce aux polarités structurelles fondamentales des trois mouvements en présence.
En tout état de cause, pour toutes ces œuvres, il serait également de bon ton d’aborder la question du matériau basique, c’est-à-dire le rapport direct au « Son » : maintes questions restent effectivement à résoudre vis-à-vis du souffle, du vibrato, de la micro-intervallité (des doigtés spéciaux devant gérer l’univers des quarts et des trois quarts de ton) ou même des sons extra-musicaux (bruits de clef, embouchure non traditionnelle, jeu sans bec…). De plus, il y aurait un travail important à réaliser sur l’action – avec ou sans « cause[40]» – et sur la qualité de l’improvisation initiale[41] des morceaux en lice, en rapport étroit avec la notation finale, stricte et figée, de la musique pour saxophone de Scelsi (sans parler des avatars liés aux « couples d’opposition » ou aux « faux dilemmes[42]», aux incidences flexibles attachées au domaine de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité[43] de l’instrumentation environnementale – ce que j’essayerai de traiter à la fin de l’article).
À l’image du solo de clarinette baptisé Preghiera per un’ombra (« Prière pour une ombre » – 1954), la première pièce des Tre pezzi pour saxophone seul (soprano ou ténor)[44] est censée parfois faire entendre deux voix distinctes, une sorte de doublure sororale (mi-prégnante, mi-occultée) semblant compléter l’idée continuiste de la trame instrumentale canalisée sur la note Ré (le même phénomène se rencontre à la toute fin du dernier mouvement, cette fois polarisé sur la note La). Si l’on revient au morceau initial, les hauteurs de note émergent la plupart du temps d’une source semblant antinaturelle car provenant non d’une note fondamentale grave[45] (comme il est courant de l’analyser à partir de l’assise essentielle servant le fondement de la musique spectrale…) mais d’un panel d’éléments lumineux issus exclusivement du registre aigu.
Alimentant un appareil rythmique d’engeance finalement irrationnelle[46], les divers mélismes au caractère souvent agité sont toujours joués legato. Dès le début de cette pièce introductive (noire = 80-84) des Tre pezzi, Scelsi a désiré travailler sur la duplication inexacte d’une cellule initiale en variant ostensiblement la nuance, le rythme et l’accentuation…
[39]« Le saxophone dans la musique de Giacinto Scelsi (1905-1988) » (https://www.facebook.com/susan.fancher.3).
[40]Évoquant le concept d’« utopie-musique » cher au philosophe Ernst Bloch, la musicologue Ivanka Stoïanova a souligné le fait que la musique pouvait être « une action sans cause » (Ivanka Stoïanova, « La musique-utopie d’après Ernst Bloch et la musique occidentale », Le Discours utopique, Colloque de Cerisy, Paris, Union Générale d’Éditions, 1978, p. 154-155).
[41]Une improvisation enregistrée provenant de la pratique particulière de l’ondioline, ancêtre du synthétiseur, cette séance servant de stimulus à l’écriture finale sur portées musicales (voir la trentaine d’occurrences du mot « improvisation » réunie dans l’index figurant dans l’ouvrage de Pierre Albert Castanet, Giacinto Scelsi – Les Horizons immémoriaux – La philosophie, la poésie, la musique d’un ‘sage’ au XXe siècle, op. cit., p. 448).
[42]Termes de Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art – Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 272.
[43]Cf. Pierre Albert Castanet, « En quête du ‘tiers inclus’ : entre homogénéité et hétérogénéité, l’art des duos (sans piano) de Giacinto Scelsi », Homogénéité, hétérogénéité des formations instrumentales dans la musique de chambre (dir. M. Joubert), Lyon, Université Lyon II, 24 avril 2024 (texte à paraître chez Symétrie).
[44]On pourra s’interroger sur le fait que, selon Scelsi, ces trois pièces peuvent également s’interpréter par une trompette basse.
[45]On notera incidemment que Varèse – adepte du « son organisé » – rêvait à « une magie entièrement nouvelle du son ». En effet, ne songeait-il pas à utiliser « l’impensé radical » des résultantes inférieures ainsi que des sons différentiels et additionnels ? (Edgard Varèse, « The Liberation of Sound » in Elliot Schwartz, Barney Childs, dir., Contemporary Composers on Contemporary Music : Expanded Edition, New York, Da Capo Press, 1998, p. 196-208).
[46]Il faut savoir que, pour Scelsi, les effets élémentaires de la musique avaient le pouvoir de jouer sur l’organisme humain : rythme = vital, mélodie = affectivité, harmonie = psychisme, construction = intellect (cf. Giacinto Scelsi, « son et musique », Les anges sont ailleurs…, op. cit., p. 130, voir aussi p. 133). À propos de la « dramaturgie » ambiante, du caractère « énergétique » et de la conduite « irrégulière » du discours de ce mouvement, voir Ian Dickson, « Small Ensemble and Solo Instrumental Works », Giacinto Scelsi – Music across the Borders, op. cit., p. 107.

Comme dans la musique orientale, une succession de « motifs » ornementaux typés anime un flux pour lequel des « variables » mélodiques de doubles et triples croches sont légion[47] (movendo, a tempo, grand ralenti noté avec valeurs longues balisant la coda…). À écouter cette pièce inaugurale – comme le relevait jadis le philosophe phénoménologue Husserl – « il est certain que la vie de la conscience est plongée dans un flux[48]»…
« Doux » et « méditatif », le discours du mouvement suivant[49] (le deuxième) contraste par le fait qu’il se répand sur une échelle favorisant l’intervalle de triton (noté Ré – La b) – la fréquence polaire qui colore le morceau étant la note Sol (reconnaissable, entre autres, en tant que première valeur longue). Accusant un jeu mobile dû à des figures alternées, l’écriture privilégie le registre medium de l’instrument. Alors que la première pièce donnait parfois dans l’abrupt et l’impur, la deuxième (plus lente – noire = 48) habite préférablement un registre voué à une pureté lisse et sans ambiguïté vis-à-vis du contexte tempéré (présence de consonances : quartes et quintes justes – voir par exemple les deux dernières notes ostentatoires de ce mouvement central…).

En revanche, arrimée au pôle de La, la troisième pièce, à l’allure extérieure plus alerte (molto ritmato – noire = 108), aime plutôt distinguer les couleurs du médium et de l’aigu du saxophone (squillante = timbre clair, cristallin) – même si les Si graves font sporadiquement partie de l’arsenal général.

Entre franches assonances et perturbations nerveusement subites (appogiatures, sforzando, subito piano, glissando avec flatterzung circonstancié), ce panneau terminal se clôt par des appels accentués avec arpèges d’obédience quasi militaire… Pascal Quignard ne remarquait-il pas incidemment qu’« il y a dans toute musique un appel qui dresse, une sommation temporelle, un dynamisme qui ébranle, qui fait se déplacer, qui fait se lever et se diriger vers la source sonore[50]» ?
À ce petit panorama induisant en filigrane quelques liens avec la ritualité du jeu saxophonistique, il faut peut-être ajouter que certaines partitions de Scelsi se terminent là où elles ont commencé, ce besoin de velléité d’ordre rotatoire permettant sans problème le retour d’un éventuel da capo. Comme pour Ixor (1956) et Maknongan (1976), les trois pièces solistes décrites succinctement ci-dessus sont de cet acabit. Autrement dit, attachée consciemment ou pas à une forme de palingénésie, chacune d’elles semble offrir une sorte de boucle prête à enclencher une nouvelle révolution de l’œuvre. Vladimir Jankélévitch estimait que cette forme de « giration » pouvait renforcer un symbole tournoyant d’« ivresse ». De plus, introspectif s’il en est, le circuit exprimé par les caractères d’une telle circularité ne présenterait-il pas le pouvoir de révéler, toujours selon ce philosophe, « le mouvement d’une conscience qui retourne sans cesse à son point de départ, c’est-à-dire vers soi […][51]» ?
Pour écouter les Tre pezzi par Kevin Juillerat au saxophone soprano :
[39]« Le saxophone dans la musique de Giacinto Scelsi (1905-1988) » (https://www.facebook.com/susan.fancher.3).
La possibilité d’un son de saxophone
En dehors de ces Tre pezzi, il importe de mentionner trois autres partitions susceptibles d’être appréhender par un instrument de la famille léguée par Adolphe Sax. Il s’agit d’Ixor, Kya et Maknongan.
Ixor « pour clarinette en Si b ou tout autre instrument à anche »
Avec une telle mention en sous-titre, cette pièce écrite en 1956 sonnera à l’évidence différemment si elle est interprétée par un saxophone sopranino ou par un saxophone baryton, par un saxophone ténor ou par un tubax… À cet égard, Scelsi a volontairement cantonné l’ensemble des paramètres dans un réseau de critères exclusivement médians : hauteurs plutôt concentrées dans le registre medium, nuance générale piano rehaussée de quelques pics à jouer forte (afin de nourrir promptement les effets nécessaires de tension sporadique), tempo neutralisé, assez lent et soutenu juste assorti d’un rare poco ritardando expressif…

Les fins de phrase se terminent le plus souvent « en mourant » (morendo) ou sont balisées par une figuration circonspecte de silence (ce que Jankélévitch a pu faire entrer dans ce qu’il nomme le domaine de la réticence[52]). Ici, entre vide et plein, le geste d’équivocité du compositeur exhibe une pleine adéquation avec l’Anahata Naad (ou Anahad – op. cit.), mot sanskrit définissant la justesse du son qui se tait car non réalisé. Enveloppées en quelque sorte de non musique plus ou moins colorée, ces « portions d’espace mesurées par le temps[53]» – comme l’expliquait Scelsi – semblent ici efficientes pour conforter une unité de sens linéaire en lien direct avec l’impulsion du rythme général proprement vécu (notamment lors de fabuleuses improvisations préliminaires).
Agencée en deux grandes parties enchaînées (Sostenuto = noire à 58 et Meno sostenuto = noire à 66), la partition d’Ixor publiée par la maison Salabert à Paris comporte un luxe d’indications visant principalement les attaques des sons et les nuances attenantes[54]. Au cours de sa progression rythmiquement imprédictible (mais au fond non virtuose), le soliloque s’appuie sur quelques notes-pôles stabilisatrices qui agissent en alternance comme autant de teneurs attractives locales[55].
Polarisé en majorité sur un Do inscrit dans une nuance généralement très douce (note émaillée de saut de septième majeure complémentaire, de demi-tons et de tritons), le flux du discours joue sur la phénoménologie de l’itération, de la duplication (plus ou moins exacte). En dehors de petits écarts dus à des quarts de ton spasmodiques, l’œuvre demande à un moment donné, comme dans Densité 21,5 (1936) pour flûte d’Edgard Varèse, des bruits de clefs ici notés Battendo sulle chiavi (allusion sans doute à ce que Scelsi a pu nommer dans sa production poétique des « bruissements particules de temps » ?).
Kya pour clarinette (ou saxophone) et septuor
Échafaudée en trois mouvements (I : noire = 72, II : noire = 80 avec un passage noire pointée = 58, III : alternance de phases avec noire = 80 et noire = 92), l’œuvre a été envisagée originellement, en 1959, pour une clarinette soliste et une petite formation de chambre. Cependant, à l’image de Luciano Berio pour sa Sequenza IX (1980) ou de Gérard Grisey pour Anubis–Nout (1983), Giacinto Scelsi a conçu, dans un second temps, une version de Kya pour saxophone solo (soprano ou alto) et septuor.
Pour écouter le 1er mouvement de Kya avec le saxophoniste soprano Marcus Weiss :
Dans cet octuor, en dehors de glissandi expressifs, l’usage de quarts et de trois quarts de ton est mis au service d’une coloration clairement tramée et irisée par l’emploi des tessitures aiguës des instruments convoqués (cor anglais, clarinette basse, trompette, cor, trombone, alto et violoncelle). Dans la seconde partie d’un texte autobiographique intitulé Il Sogno 101 (Le Songe 101), le musicien ne parlait-il pas d’un son radiant « comme un soleil[56]» ? Dans le cas de la nouvelle version, l’amateur peut aisément repérer cette sorte d’heureuse concorde très opérante entre la sonorité du saxophone et celle du cor anglais, grâce à une écriture (partielle ou totale) avec des figures mélodico-rythmiques similaires (parfois à l’unisson) ou, pour le moins, totalement synchrones (surtout dans le troisième mouvement).
En réalité, dans ce type d’environnement soliste où l’épaisseur contrapunctique est fatalement mise à nu, l’ajout d’un second partenaire homos genos (c’est-à-dire « de même nature ») m’a paru pertinent à notifier. Face à ce type de conjoncture d’aura nomothétique (relatif à une loi d’unité), je me suis alors mis à penser au fait que, consciemment ou pas, l’intention de Scelsi pouvait se rapprocher de la notion d’Advaya, un mot provenant de l’enseignement bouddhiste[57] qui signifie précisément « qui n’est pas deux ». Enfin, durant les trois mouvements qui animent l’intégralité de Kya, l’exécution solistique demande une grande recherche dans le domaine spécifique de la couleur sonore générale (toujours au service du tutti, le soliste doit alors être attentionné au triple piano expressif, au vibrato ample, à la clarté des aigus, à la haute potentialité spectrale, à la poly-timbralité des registres mis en résonance).
Vis-à-vis du rapport au « Son », Scelsi devisait encore : « Nous sommes énergie, une des énergies. Notre manifestation est le son. Les vivants ne perçoivent qu’une partie de l’énergie que nous transmettons comme son audible par eux ou par leur corps. Mais notre énergie crée leur monde continuellement[56]». En lieu et place, cette remarque non anodine pourrait typiquement concerner le troisième mouvement de Kya. On notera juste avant la coda de ce volet terminal ce phénomène de reprise intégrale de 26 mesures passablement mouvementées : ruban de triples croches solistes jouées fortissimo, trémolos micro-intervalliques et trilles nourriciers du tutti, homorythmie harmonique, effets de timbres très précis : col legno, glissando, sul ponticello, son « sur la touche » ou jeu « normal », sourdine métallique pour les instruments à cordes, vibrato ample ou non vibrato pour le saxophone, le cor anglais, la clarinette basse et l’alto, sforzando piano subito, sourdines pour les cuivres (de type « Cup » ou « Wa-Wa »), sons ouverts ou bouchés au cor, registre aigu du tuba…
Maknongan « pour instrument grave ou voix de basse »
Le titre Maknongan désigne le nom d’un dieu inévitable chez les Ifugaos, peuple des Philippines chez qui les croyances religieuses et philosophiques transparaissent via l’histoire de moult rites singuliers et prières personnalisées[57]. Le saxophoniste Claude Delangle a pensé pour sa part que le début de ce solo datant de 1976 suggérait « une inspiration de la musique tibétaine[58]». Émaillée de sons vibrés, de micro-intervalles et de nuances sans cesse changeantes, l’introduction de cette page (noire = 84) au caractère rituel[59] non feint déroule effectivement un feston sinusoïdal fondé au début sur la note pôle de Sol #, fréquence mobile oscillant par minivagues parfois infimes jusqu’au Sol naturel et jusqu’au La…
Pour écouter Maknongan au saxophone baryton par Brendan W. Kelly :
Nonobstant, une chose importante à considérer est que dans la préface de la partition, Scelsi demande de « trouver une solution afin de mettre en évidence l’alternance entre le ‘sombre’ (noté cupo) et le ‘clair’ (chiaro) ». Préférant l’essence expérimentée du son au quelconque signal froidement acoustique, il avance même que l’on peut transposer la pièce afin de favoriser un coloris optimal ainsi que le contraste entre les sons « sombres » et les sons « clairs » – entre les deux, l’instrumentiste doit également faire la part belle au son « normal » : il y a donc trois couleurs de sonorités à découvrir et à discerner (voir la fin de la première page et le début de la suivante ou même la toute fin de la coda).

Sur le plan des artifices, la brève partition (qui ne dépasse pas 4 minutes) de Maknongan – concentrée dans sa partie médiane sur un La – demande des quarts de ton vibrés, ainsi qu’un glissando sur de petits intervalles (demi-ton, ton), geste continu pouvant aller – comme dans les Quattro pezzi su una nota sola pour orchestre – jusqu’à la tierce mineure… L’originalité de ce solo réside dans le fait que l’adaptation possible à d’autres instruments d’ambitus semblable ouvre une palette sonore évidemment différente à chaque exécution. Car, selon les cas (que Baumeister appelle à sa manière des « angles créatifs[62]»), le jeu des anches simples ou doubles, des embouchures de cuivres, des archets des cordes frottées… modifient fatalement la palette acoustique gérée d’emblée par les transitoires d’attaque, tout en offrant à loisir une panoplie bigarrée sur le plan du lot de sons harmoniques mis à flot.
À cet égard, voyez ci-dessous l’exemple élaboré par l’Américain William Colangelo (extrait de sa thèse de doctorat). Ce musicologue présente en effet un tableau intéressant montrant différents reliefs spectrographiques (se révélant peu ou pas semblables) émanant de l’espace acoustique de Maknongan, lorsque la partition est interprétée par des instruments différents : Pour ce relevé, l’œuvre a été tantôt interprétée par la contrebasse à cordes de Joëlle Léandre, tantôt par le saxophone baryton de Claude Delangle, tantôt par la contrebasse à cordes de Corrado Canonici, tantôt par le basson de Johnny Reinhard.

De surcroît, à l’instar d’Hiérophonie IV (1971) de Yoshihisa Taïra ou de la Sequenza V (1976) de Luciano Berio, cette œuvre demanderait parfois le recours de la voix (alors que cela n’est pas noté sur la portée musicale). Il s’agirait de proférer un cri[1] sollicité par le compositeur qui – faut-il le répéter ? – avait l’habitude d’improviser le canevas de ses opus en amont de la réalisation finale des partitions éditées (à cet égard, il faut écouter l’enregistrement de Joëlle Léandre à la contrebasse, valeureuse interprète qui a travaillé la pièce avec Scelsi en personne).
Incidemment, afin de clore cette partie consacrée à la possibilité probante d’un son de saxophone, élevons notre pensée en ayant en mémoire ce qu’a pu évaluer Gilles Deleuze : « en vérité, c’est l’âme qui fait ses propres motifs, et ceux-ci sont toujours subjectifs[56]»…
Le saxophone dénaturé : un des trois Riti et deux des Canti del Capricorno
Riti : I funerali d’Alessandro Magno (323 av. J.-C.)
Au début des années 1960, Giacinto Scelsi a imaginé une série de trois marches rituelles respectivement dédiées à de hauts personnages légendaires : Achille, Alexandre le Grand et Charlemagne. Dans ce contexte, avec l’accord du maestro romain, le compositeur Aldo Brizzi a arrangé, en 1988, les Riti : I funerali d’Alessandro Magno – 323 av. J.-C. (« Rites : les funérailles d’Alexandre le Grand – 323 avant Jésus Christ »). Cette partition avait été primitivement écrite, en 1962, pour orgue électrique, contrebasson, trombone, contrebasse et percussion. Lors du festival Musica’ 88 de Strasbourg, Scelsi a failli entendre la pièce dans sa nouvelle version, malheureusement il est décédé peu avant, en août 1988. Quoi qu’il en soit, il existe donc à présent un hommage à Alexandre le Grand pour saxophones basse et contrebasse, contrebasson, contrebasse et percussion[66].
Ordonnancé selon le cours onirique d’une lente procession, ce lugubre « défilé des hérésies[67]» demande d’utiliser un saxophone basse sans embouchure (il est alors demandé à l’instrumentiste de produire des sons en ne se servant que du principe des anches lippales – comme pour un tuba, les lèvres faisant juste office d’anches naturelles). Ambitionnant d’obtenir la sonorité particulière d’une trompe ancienne, Brizzi a indiqué qu’il souhaitait donner au quintette chimérique une « tonalité archaïque – et même biblique[68]». De près ou de loin, cela peut-il rappeler en creux les exclamations manifestes lues au sein du Canzoniere de Plutarque :
« Alexandre, arrivé à la tombe fameuse
du fier Achille, en soupirant eut ces paroles :
Bienheureux, qui trouvas si éclatante trompe,
et poète écrivant si hautement de toi ![69]» ?
Canti del Capricorno
Enfin, le contexte de la dénaturation instrumentale nous mène directement à la préparation du saxophone utilisé dans les mouvements V et VII du long cycle vocal (plus d’une heure de scène) des Canti del Capricorno (« Chants du Capricorne »). Initié dès le début des années 1960, l’ensemble a été considéré par Heinz-Klaus Metzger comme offrant les fruits d’une « musique unique au monde[70]». Comportant 20 numéros séparés, la composition est conçue pour une voix de femme non spécifiée (pouvant s’accompagner tantôt d’un gong, tantôt d’une flûte à bec). À certains moments, le récital n’est pas que soliste car il demande la présence annexe d’un
saxophoniste (pour deux chants) et de deux percussionnistes (pour deux chants également), parfois même d’un(e) contrebassiste[71]… Issus d’une pratique courante chez Scelsi, ces canti sont nés de sessions d’expression spontanée, en l’occurrence celles improvisées vocalement par la Japonaise Michiko Hirayama (1923-2018). C’est pourquoi la partition doit juste se présenter comme un aide-mémoire substantiellement récapitulatif, l’essentiel, pour sa réalisation, relevant d’une technique souple de transmission éminemment orale[72] ?
Ayant travaillé durant dix ans (1962-1972) à ce vaste recueil sans texte avec cette incomparable chanteuse (qui en est, en fait, la co-auteure), Scelsi tenait à exploiter une très large gamme de sons vocaux – plus ou moins exotiques – allant bien au-delà des pratiques des vocalistes européennes de formation classique. Jouant à loisir sur une palette couvrant tous les effets de l’extra-vocalité, bon nombre de phonèmes, onomatopées, borborygmes, râles, raclements de gorge, vibratos exagérés, exhortations glissées, émissions nasales, éclats sonores maladifs… sont ici convoqués dans ce que Roland Barthes nommait, en 1970, un « code herméneutique[73]». Dans cadre, souvenons-nous également que Gaston Bachelard souhaitait jadis donner « plus d’attention à l’exubérance poétique, à toutes les formes du bonheur de parler, doucement, rapidement, en criant, en murmurant, en psalmodiant… on découvrirait une incroyable pluralité des souffles poétiques[74]»…
Revenons à Scelsi qui s’est expliqué sur les rapports particuliers qu’il a eus avec l’artiste nippone :
« En 1961, j’ai fait un certain travail avec Michiko Hirayama. Elle venait ici, chez moi, à Rome, deux fois par semaine. Dans un certain sens, je lui ai suggéré la manière de chanter mes compositions. Non pas comme un professeur de chant – je n’y connais rien –, mais par exemple, pour certains effets.
Pour les Chants du Capricorne, par exemple, je lui ai dit :
‘Tu as été sur mer, dans un bateau ? – Oui.
– As-tu déjà eu le mal de mer ? – Oui.
– Qu’est-ce que tu fais ? – Je fais aaahhh !
– Alors, c’est ça. Tu fais comme ça. Sur ces notes-là, tu vomis.’
Une autre fois, je lui ai dit : ‘Tu rentres le soir chez toi, tu ouvres la porte. Tu trouves dans le noir un homme qui est là, devant toi. Qu’est-ce que tu fais ?’ – ‘Je hurle !’ – ‘Eh bien, hurle !’ – ça, ce sont des choses psychologiques que l’on peut faire. Autrement elle n’aurait jamais chanté de cette manière. On ne peut pas écrire ça sur une partition.[75]»
Pour écouter Michiko Hirayama dans les Canti del Capricorno :
[39]« Le saxophone dans la musique de Giacinto Scelsi (1905-1988) » (https://www.facebook.com/susan.fancher.3).
Pour autant, cela n’est pas un hasard si, dans de telles circonstances particulières, ces sortes de vaticinations semblent extérieurement similaires aux chants traditionnels du pays du soleil levant, leur créatrice Michiko Hirayama ayant sans nul doute permis un rapprochement plus que convaincant avec le shomyo de ses ancêtres (genre incluant les monodies rituelles et les récitations liturgiques des cérémonies bouddhistes). À cet égard, une association reste également à réaliser avec le nagauta et le style gidayu des théâtres de marionnettes bunraku. Les micro-glissandos et la présence de notes centrales (pôles fédérateurs) ainsi que l’utilisation d’accentuations très abruptes peuvent aussi évoquer les vicissitudes mouvementées du chant nô[76]. Ainsi, dans ce dernier mode d’expression japonais, connoté à la fois à des éléments esthétiques et à des références religieuses, une énonciation fluide et douce peut totalement coexister avec une âpre formulation d’obédience criarde.
Au regard de ce qui est demandé pour l’interprétation sauvagement saxophonistique des Canti V et VII, il serait possible de palabrer sur les principales caractéristiques du son vocal réclamé par Scelsi – en l’occurrence, autant de sonorités pourvues d’un vibrato très large à l’ambitus irrégulièrement perturbé… De même, il serait tout aussi judicieux de disserter sur les différentes variations d’intervalles effectives selon la ferveur implicative de la personne qui chante (cette implication d’ordre psychologique associée au spirituel de l’expression serait alors à rapprocher de la pratique usuelle des moines d’obédience zen)[77].
« origine et limite
le cri et le soupir »
Giacinto Scelsi, Cercles[78]
Ici, au même titre que les souffles, les cris et les sons gutturaux constituent l’apanage royal de la partie vocale aux reliefs laborieux et rêches[79], le timbre partenaire du saxophone alto ne doit jamais se soustraire à la joliesse du son académique. Dans ce type de cas aux ressources bel et bien déstabilisatrices, il est sans doute possible de penser aux remarques de Gaston Bachelard qui disaient que « pour bien reproduire un bruit, il faut le produire plus profondément encore, il faut vivre la volonté de le produire[80]»… En fait, très impliqué par une espèce d’entente cordiale avec les atours déstabilisateurs de la voix, le son instrumental doit assurément provenir d’un saxophone préparé (avec du papier aluminium placé en travers du pavillon et des clefs de l’instrument). Auteur d’effets de glissando étrange, fabricant de quart de ton sensiblement instable (voir le chant VII)… le saxophone reste complice, entre autres, d’une palette d’artifices mimant les sons émanant d’une sourdine hypothétique (du type « cup », à fabriquer). Dans ce périple exotique, la nouvelle sonorité de cet instrument à vent doit se parer d’une aura brute et antique entrant dans les catégories connexes du « son sale[81]», de la fréquence impure, et même de l’Ur-musik (la « musique des origines ») au grain typiquement rugueux.
De surcroît, comme pour sa pièce intitulée Alhö (1963), Scelsi va se servir de gong pour accompagner certains borborygmes capricorniens d’obédience rituelle[82], le cycle ressemblant par moment à un réel vocilège[83] tribal. Car, grâce à cette part de mixité manifeste (voix – saxophone), le compositeur a fait en sorte que tout cet appareil musico-gestuel doive arriver à marier des éléments épars en une communion à l’expression homogène. Les noces de l’un et du multiple se réalisent alors sur l’autel d’une mythologie complexe et utopique[84] avec des pratiques ancestrales allant du bruit excrémentiel (déjà cité)[85] au chant multi-fréquentiel (à la densité épaisse et rude), de la mélopée archaïsante à la sonorité saxophonistique parasitée. À cet égard, le philosophe italien Mario Perniola n’avait-il pas déduit que « l’œuvre d’art n’est pas une réalisation, mais une aliénation de l’artiste : en elle son intensité est rigidifiée, paralysée, éloignée d’elle-même[86]» ?
Concernant le rôle du saxophone dans cette paire de Canti del Capricorno, le timbre métissé de l’instrument à anche doit pouvoir aider à lisser horizontalement ou hérisser verticalement l’espace acoustique (pièce V), dérouler une plainte lascive d’obédience quasi lyrique (pièce VII, alors que la voix – « instrument de l’extrospection[87]» par excellence – revêt une apparence d’aura cette fois quasi percussive). In fine, le son instrumental doit ressembler à celui d’un mirliton antédiluvien (de nos jours, on parlerait de kazoo) aux reliefs acoustiques parfois satiriques (gestus émotionnel[88] offrant une couleur pertinente ne cessant jamais de stimuler la part d’animosité primaire qui est en chacun d’entre nous). Encouragée par un puissant taux de ritualité rythmico-sonore, l’expression du saxophone ainsi falsifiée doit se présenter – si l’on peut dire – dans l’excription[89] d’un acteur grimé, évoluant hors-sol. Francis Bebey, chanteur et poly-instrumentiste camerounais, n’a-t-il pas distingué à cet égard qu’un musicien occidental ne retrouve presque jamais rien des concepts qui lui ont été magistralement inculqués au cours de son éducation musicale ? Rejoignant à ses dépens la philosophie des expressions musicales scelsiennes, cet artiste poursuivait en soulignant que « le musicien africain ne cherche pas à combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille, mais plutôt à exprimer la vie et ses divers aspects au moyen des sons[90]»…
De plus, sur le plan timbrique, il faut préciser que nos deux Canti del Capricorno (avec saxophone) ont pour finalité de faire entendre un complexe sonore hybridé[91] en demandant à l’instrumentiste de remplacer le bec de l’instrument par une anche double adaptée (principe signalétique connu depuis la haute antiquité). Plus précisément, pour Scelsi, l’instrument qui paraît être dissimulé incognito sous le maquillage d’un étrange intrus doit en fait pragmatiquement s’approcher d’un mixte unissant le timbre doux et grave du duduk de type caucasien (présence de triple piano dans le chant VII) avec la couleur quelque peu rêche du tule amérindien. On sait que cet instrument des Wayapi de la forêt amazonienne a l’avantage de servir la cohérence induite (aux oreilles des Africains[92]) d’une conduite répétitive, bruiteuse et riche en harmoniques[93]. Sauf si notre improvisateur zélé a souhaité rechercher – cette fois pour la part de vélocité idéale des traits de l’instrument à vent – le timbre facétieux du pungi des musiciens envouteurs du Népal ?
Dans de tels conditionnements opportunistes et grâce à la figuration attentiste d’une ivresse profusément sonore ou d’une hypnose difficilement contrôlable, le saxophone – qui semble alors avoir compris comment il peut attirer et captiver l’oratrice à l’effusion vocale immodérée – doit savoir jouer en fin de compte, non pas le charmeur de « serpent raide traversé de sons[94]»… mais peut-être l’ensorceleur de capricorne (à moins que ce ne soit la voix qui, avec ses phonèmes particulièrement raboteux et gutturaux, évolue en sorcière courtisane de l’instrument à vent au son passablement nasillard ?). Quoi qu’il en soit, servie par une palette de souffles colorés[95] de provenance extra-européenne (mi-japonais, mi africains), cette étrange musique de Scelsi aspire de proche en proche à se lover dans un continuum sonore unitaire (qui ne fait qu’un avec le contexte chorégraphique induit et l’esprit général codifié par d’hypothétiques rites ancestraux)[96].

Selon la musicologue Irène Assayag, Michiko Hirayama (dédicataire du cycle vocal scelsien) a mentionné que ces canti racontaient « l’histoire de l’humanité jusqu’à son accession au monde spirituel[97]» (dans ce cadre, le saxophone complétant le binôme à l’expression dramaturgique ne serait-il pas alors le messager ailé d’une aventure à but ascensionnel ?). De ce fait, chahutant à l’extrême les règles conventionnelles du jeu conventionnel, ces partitions restent véritablement en marge du catalogue de l’auteur de Natura renovatur. Car, impressionnantes en diable au sein d’un « théâtre de la catharsis[98]», les différentes propositions ont la faculté de présenter notamment des murmures obscènes d’ordre privé ou des exhortations favorisant la diaphorèse (grosse sueur pathologique), des lamentations apprêtées et des cris souffreteux, des prières surannées et des gestes ritualisés, des plaintes instrumentales venteuses et des murmures à peine sortis de l’embouchure[99].
Entretenant à l’envi les arcanes d’une théâtrologie sonore complexe et faisant corps avec la posture tribale de la vocaliste, le saxophoniste a alors tout loisir de se mettre dans la peau d’un acteur au visage fardé et au geste primarisé. Acolyte altruiste de l’expression extra-vocale, l’instrumentiste émancipé doit tenter lui aussi d’agencer et de compléter la couleur timbrique globalement extravertie, réservée à cette cérémonie plénipotentiaire en l’honneur du capricorne[100] (le signe du zodiaque du Scelsi)…[101]
[39]« Le saxophone dans la musique de Giacinto Scelsi (1905-1988) » (https://www.facebook.com/susan.fancher.3).
Le « Son » du saxophone : un matériau finalement dédié à l’inattendu et au stupéfiant
Le philosophe Yves Michaud pensait qu’une « grande désorientation » pouvait induire la « condition d’une clarté et d’une lucidité neuves. Aucun philosophe ne saurait s’en plaindre[102]», concluait-il. Contre toute attente, au sein d’un univers somme toute déroutant, nous avons pu étudier que le « Son » du saxophone chez Scelsi doit faire l’objet d’une attention bien particulière. Tout en tentant d’être « juste », soit il demande d’être contrôlé noblement (comme dans les Tre pezzi – le timbre sollicité étant tout compte fait de facture traditionnelle), soit il doit trouver, polir et défendre sa propre singularité en n’essayant aucunement de se substituer à la sonorité classique d’une clarinette, d’un cor anglais ou d’un basson (cf. Kya, Ixor et Maknongan – partitions jouables par un saxophone).
Dans l’ordre de l’extension du domaine du saxophone (à propos des Riti : I funerali d’Alessandro Magno (323 av. J.-C.) ainsi que des deux Canti del Capricorno appréhendés plus haut), le nouvel instrument à vent – alors préparé, augmenté ou diminué – doit admettre d’être détourné de son confort routinier afin de présenter un timbre original à l’aura parfois barbare, à la fois affranchie, et parfois grimaçante[103]. À ce titre d’obédience pleinement avant-gardiste, à l’instar du piano préparé de John Cage (personnage que Scelsi connaissait bien[104]), il doit savoir perdre son âme et accepter de se transmuer en un appareil au dispositif falsifié. Et sur ce plan, il n’est nullement question, loin de là, de le considérer comme un sujet réduit ou même appauvri…
Assumant la portion d’ambiguïté non négligeable et non passive de la figure du double connivent (incarnation de la conscience ou de l’inconscience de l’autre ?), le saxophone des Canti doit simplement se comporter comme l’outil d’un mode insolite d’expression contre-naturelle. Dans ce type de mise en scène (parfois agrémentée de violence décibellique) où le saxophoniste joue juste un autre instrument, il est possible de songer au raisonnement de l’universitaire François Larurelle qui renvoyait souvent au fait que « la philosophie a besoin d’une non-philosophie qui la comprend, elle a besoin d’une compréhension non-philosophique, comme l’art a besoin de non-art, et la science de non-science.[105]» De fil en aiguille, cela peut aussi nous inciter à convoquer d’autres paroles comme celles du philosophe Mikel Dufrenne qui, en matière d’esthétique « contemporaine », tenaient à développer ceci : « Quand la beauté cesse d’être une norme définie, elle ne cesse pas d’être une fin […] On sait bien quand la beauté est atteinte ou quand elle est manquée ; on l’apprend d’un certain sentiment de plaisir […] Il me semble que le non-art ne renonce nullement à produire du beau – un autre beau.[106]»
En d’autres termes, oscillant entre le choc et la convenance, louvoyant entre un sentiment d’habitude et un effet de surprise… et afin de renforcer cette sensation déviant de tout horizon d’attente académique, il serait agréable de citer, en guise de conclusion, quelques propos choisis provenant de la plume de Carl Dahlhaus. En effet, ce musicologue allemand n’inscrivait-il pas au cœur de son Esthétique de la musique que « seul ce qui est inattendu et stupéfiant, au point d’échapper à toute forme de réaction routinière, aura la chance d’être perçu de manière esthétique et d’être hissé au rang d’objet d’une contemplation qui s’immerge dans ce phénomène et les traits particuliers qui le composent, au lieu de les subsumer rapidement sous un concept sans tenir compte de son caractère et de sa teneur particulière[107]» ?
[39]« Le saxophone dans la musique de Giacinto Scelsi (1905-1988) » (https://www.facebook.com/susan.fancher.3).