L’intonation du clavicorde

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Effet de la dynamique sur l’intonation

Le mécanisme particulier du clavicorde a une conséquence fondamentale sur le son produit : la possibilité de varier l’intonation par la pression du doigt. La corde est en contact avec le doigt qui peut en modifier à volonté la tension.
Une variation de tension de la corde entraine une variation de sa hauteur mélodique. Cet effet peut être utilisé pour produire un vibrato de hauteur, ou bien pour redonner vie à une note tenue, par une petite impulsion du doigt.
Le contrôle conjoint de la hauteur et de la dynamique est difficile. Les variations d’intonation sont liées au jeu, mais sont également permises par les propriétés particulières du modèle d’instrument lui même. Si les cordes sont comparativement grosses et très tendues, elles auront l’effet d’un ressort avec une grande constante de raideur. Elles opposeront au doigt un toucher dur, avec peu de variation d’intonation et de dynamique. Si au contraire les cordes sont fines et peu tendues elles n’opposeront pas une grande résistance à l’enfoncement et l’interprète pourra réaliser d’importantes variations d’intonation.
D’autres paramètres interviennent sur la dureté du toucher, comme la tension de la bande d’étouffoir ou la longueur morte des cordes à gauche, la partie étouffée à gauche des tangentes.
La figure 20 montre les variations d’intonation obtenues lorsque l’on varie la dynamique de l’instrument. Ces mesures correspondent aux mêmes sons que les figures 14, 15, 16 et 18. La tâche était de jouer des notes séparées, du plus faible au plus fort, mais sans prêter une attention particulière à l’intonation. Les variations d’intonation sont donc peut être plus importantes que ce qu’elles auraient été dans une tâche plus musicale, par exemple jouer une mélodie ou des accords.
La figure 20 montre l’écarts type, pour chaque instrument et pour chaque touche, de la hauteur obtenue, pour les notes jouées différentes vélocités, pour les quatre clavicordes. En abscisse le numéro de la note, en ordonnée l’écart type en demi-tons, obtenu pour toutes les variations de vitesse des touches.

Les écarts types en demi tons représentent la variabilité de l’intonation. Ces valeurs paraissent importantes pour certaines notes et certains instruments. Elles dépassent le quart de ton dans le grave du modèle BS, montrant un toucher plutôt mou et une intonation imprécise. Au contraire, le modèle DH offre un toucher plutôt dur, et une intonation très stable pour presque toutes les notes. Le modèle ZK est relativement stable comme intonation. Le modèle BM est peu stable, mais il est très particulier puisque dans les clavicordes médiévaux, toutes les cordes ont la même longueur et sonnent à l’unisson. Cela donne des parties mortes de corde, à gauche des tangentes, de très grandes longueurs, donc un toucher plutôt mou et imprécis.

La possibilité de varier l’intonation est un des moyens expressifs les plus importants du clavicorde, et celui qui lui est le plus spécifique. Aucun autre cordophone à clavier ne dispose de ce moyen. Ce jeu subtil lors de l’attaque, du maintien et du relâchement de la corde fait toute la beauté et la difficulté du jeu du clavicorde.

 

Figure 20 : variations d'intonation (écart type) pour les clavicordes BM, ZK, BS et DH. En abscisse le numéro de la note, en ordonnée l’écart type en demi-tons, obtenu pour toutes les variations de vitesse des touches.

Le paradoxe acoustique du clavicorde

Le principe mécanique du clavicorde est paradoxal. La corde est mise en mouvement à l’endroit qui est en principe immobile dans tous les cordophones à clavier. C’est l’endroit le moins efficace pour exciter une corde : pour prendre une analogie, cela revient à tirer un arc non au centre de la corde mais à une ses extrémités, ou bien mettre en mouvement une balançoire en la poussant à l’endroit de son axe.
Ce principe mécanique a d’importantes conséquences pour le jeu. La corde étant mobilisée à l’une des extrémités entre lesquelles elle est tendue, la vibration ne peut pas être de grande amplitude, et le son ne peut être que faible, par rapport à une excitation au centre de la corde. On a vu que pour jouer fort l’instrumentiste doit jouer avec le maximum de vélocité afin que le mouvement communiqué à la corde soit aussi ample que possible. Mais jouer avec vélocité implique de déplacer la corde, et donc de modifier sa tension. La hauteur mélodique est donc altérée.
Le paradoxe pour l’interprète est donc de jouer le plus vite possible, mais de déplacer la corde le moins possible. Cela exige un contrôle accru du toucher.


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