De l'influence des outils numériques interactifs sur le temps musical
Olivier Koechlin
Pour le musicien et le rythmicien, la perception du temps est la source de toute musique et de tout rythme. Un musicien est forcément rythmicien, sinon il ne mérite pas d’être appelé musicien. S’il est rythmicien, il se doit d’affiner son sens du rythme par une connaissance plus intime de la durée vécue, par l’étude des différents concepts de temps et des différents styles rythmiques.
Olivier Messiaen – Traité du rythme, de couleur et d’ornithologie - tome I p. 9
Introduction
On souhaite poser ici les bases d’une réflexion sur la perception du temps en musique, nourrie à la fois par une expérience acquise dans la conception et le développement d’outils de création et d’analyse musicale et de celle de la pratique instrumentale.
Tout au long des trois dernières décennies, on a pu constater les progrès évidents apportés par les nouveaux outils numériques interactifs, par exemple dans la richesse de la synthèse et du traitement des timbres ou dans la complexité des structures de composition, mais il a pu sembler que les occasions manquaient de se retourner un instant en arrière et se questionner sur ce qui avait changé dans notre perception du temps musical.
En première approche, on peut constater un sentiment global d’accélération dans la manipulation du temps de la musique que l’on conçoit, que l’on pratique ou que l’on écoute, qui finit par poser question : quel est l’impact de ces nouvelles pratiques sur notre appréhension de ce caractère intrinsèque, intérieur et difficile à cerner de la musique qu’est le temps ?
Avant d’avancer une réponse, on décrira la matérialité de ces outils et de leurs médias, puis on parcourra quelques usages paradoxaux observés dans trois situations différentes et complémentaires : celle du compositeur, celle de l’instrumentiste et celle de l’auditeur.
Mais commençons par proposer deux lois établies par Cuvillier et qu’Olivier Messiaen cite dans son traité, sans les commenter là, mais elles seront utiles par la suite :
« Notre appréciation de la durée dépend essentiellement du nombre d’événements dont elle est remplie pour chacun de nous : événements psychologiques, événements physiologiques, événements voulus et exécutés par nous (actions), événements extérieurs agissant sur nous (chocs) – et le tempo de la durée change suivant que ces événements sont antérieurs ou actuels.
Conséquence : deux lois qui résument parfaitement la durée vécue :
a/ Sentiment de la durée présente. Loi : dans le présent, plus le temps est rempli d ‘événements, plus il nous paraît court – plus il est vide d’événements, plus il nous paraît long.
b/ Appréciation rétrospective du temps passé. Loi inverse de la précédente : dans le passé, plus le temps était rempli d’événements, plus il nous paraît long maintenant – plus il était vide d’événements, plus il nous paraît court maintenant. »
Olivier Messiaen – Traité du rythme, de couleur et d’ornithologie - tome I p. 10