Conclusions

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Certains commentateurs ont reproché à Scarlatti d’avoir été parfois victime de son propre talent de virtuose et de se montrer incapable de concevoir la musique de manière abstraite, comme il pouvait le faire, par exemple, un contrapuntiste. Ces observations découlent d’une lecture peu attentive de sa musique et reposent sur un préjugé diffus, de souche académique. Il est vrai que Scarlatti semble ne pas se sentir à l’aise avec les techniques compositionnelles courantes à son époque et il ne se montre pas intéressé à la construction d’édifices formels solides. En réalité son approche est d’une nature tout à fait différente, qui ne peut pas être confronté à celle d’un contrapuntiste. C’est une comparaison non pertinente, qui ne rend pas justice à la particularité et à l’authenticité de son écriture. Pour cet auteur, le clavier, loin de représenter le terrain du simple exercice instrumental, est le lieu à partir duquel l’idée commence à jaillir. La relation qu’il entretient avec l’instrument opère comme un détonateur pour l’invention. Il s’agit d’une attitude entièrement autre par rapport à ce qu’on peut attendre d’un compositeur de l’époque. Si le geste improvisé est, en bonne partie, à l’origine de l’idée compositionnelle, on admettra alors que l’aspect qu’elle prendra aura un caractère « phénoménal ». L’idée n’est pas déduite d’un système, elle ne s’accompagne pas d’une théorie : elle sera plutôt le résultat d’une investigation expérimentale, liée à l’aspect sensible des choses. L’écriture scarlattienne (contrairement à la tradition du contrepoint, mais aussi à la forme dialectique de la sonate classique) n’est pas porteuse d’une métaphysique, mais en revanche elle nous offre une poésie du sensible.

Les explorations que Scarlatti conduit en tant que manipulateur de l’instrument, en tant qu’ homo faber, sont hautement élaborées. L’élaboration pourra se faire dans l’immédiat – avec une dose plus ou moins importante d’intuitivité – en jouant, ou bien par la suite, en peaufinant, en retravaillant, en enrichissant, ce qu’on a pu trouver et découvrir au contact direct avec le son. Le musicologue qui s’apprête à étudier les procédés compositionnels des Sonates y trouvera une impressionnante richesse de solutions, chacune finement ciselée. On y rencontre une très haute qualité de l’invention et une grande imagination. Toute notre analyse, bien qu’elle limite son investigation à quelques-uns de ses aspects seulement, cherche à le démontrer.

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