Le timbre baroque dans Medeamaterial de Pascal Dusapin

Jonathan Nubel


Introduction

Le répertoire contemporain destiné au instruments anciens, pour anecdotique qu'il soit dans le flot des créations musicales actuelles, n'a pourtant pas cessé de croître dans les dernières décennies interrogeant à la fois l'influence de la tradition sur la modernité et la contemporanéité même des instruments « historiques ». Nombre de ces productions n'ont malheureusement été que des passages sans lendemains à la fois pour les compositeurs – souvent une seule œuvre au catalogue, mineure ou en tout cas rarement rejouée[1] – et pour les interprètes, qui n'ont pour la plupart que peu l'habitude de la confrontation avec la musique d'aujourd'hui[2].
L'œuvre de Pascal Dusapin fait exception au moins sur deux points : son importance tant dans son propos que dans les nombreuses reprises qu'elle a suscitées.

L'idée de l'opéra Medeamaterial est née en 1991 de la volonté de Bernard Foccroulle – alors directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles et dédicataire de l'œuvre – de commander un prologue contemporain au Didon et Enée de Henry Purcell, la musique du prologue original ayant été perdue[3]. Le choix de Pascal Dusapin[4] a alors été de conserver une homogénéité d'instrumentation entre sa composition et celle de Purcell, confrontant ainsi sa musique à un timbre particulier, celui de la Chapelle Royale et du Collegium Vocale de Gand de Philippe Herreweghe. Il s'agissait donc de confronter à la fois deux histoires de couple tragiques[5] et deux esthétiques musicales a priori étrangères. Musicalement et dramatiquement, cette confrontation allait s'avérer fort riche et contribuer à la longévité assez remarquable de cette œuvre qui a connu déjà cinq productions et anime encore cette saison l'actualité musicale avec la reprise de l'œuvre chorégraphiée par Sasha Waltz et rebaptisée Medea[6].

Nous ne nous intéresserons ici pourtant qu'à la première production de l'œuvre, c'est-à-dire à sa création dans la rencontre entre un compositeur et ses interprètes et donc dans la conception même de la composition, pour tenter de mettre au jour quelques éléments musicaux et dramatiques de ce mélange des genres. Et c'est précisément sous l'angle du timbre que nous aborderons ces rapports.

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[1] Cela est surtout vrai pour les oeuvres destinées à des ensembles « baroques », certains compositeurs ayant un intérêt marqué et récurrent pour des instruments précis comme par exemple les cordes sympathiques (viole d'amour, baryton) chez Klaus Huber.

[2] Ici aussi, il faut remarquer quelques exceptions notamment chez les violistes (Matthieu Lusson, l'ensemble Fretwork) ou certains violonistes qui intègrent des œuvres actuelles à leur répertoire tels que Chiara Banchini ou même Sigiswald Kuijken.

[3] La création a eu lieu le 13 mars 1992 au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Un disque – qui a servi ici aux extraits sonores – rassemblant les interprètes de la création a 騁 press chez Harmonia Mundi (HCM 905215) en 1993. La partition est éditée par Salabert.

[4] C'est Pascal Dusapin lui-même qui a choisi de collaborer avec l'orchestre de la Chapelle Royale plutôt qu'avec un ensemble spécialisé dans la musique contemporaine.

[5] « La partie dialoguée de Matériau-Médée est presque le sténogramme de la dispute d'un couple qui en est au dernier stade, ou dans une crise relationnelle » ; Müller, Heiner, Guerre sans bataille. Vie sous deux dictatures, Paris, L'Arche, 1996, p. 270.

[6] Il s'agit d'une reprise de la production crée à Luxembourg en 2007 et servie par le Vocalconsort Berlin et l'Akademie für Alte Musik Berlin.