Erroll Garner, « trompe l’oreille » ?

Jean Pouchelon


Cet article reprend, sous forme plus étoffée, un mémoire de DEA, que j’ai présenté en 2008 dans le séminaire « Modélisation des Savoirs » de Marc Chemillier à l’EHESS. L’article dans ses versions antérieures est disponible en pdf sur le site du Séminaire Modélisation des Savoirs : http://ehess.modelisationsavoirs.fr/seminaire/seminaire08-09/seminaire08-09.html et sur le site du Magazine en Ligne des Ateliers du Rythme, http://www.rythme.be/mag/mag33.pdf.

Introduction

Erroll Garner est né à Pittsburgh le 15 juin 1921 et mort le 2 Janvier 1977 à Los Angeles. Pianiste dans l’orchestre de Leroy Brown de 1938 à 1941, il s’installe à New-York dès 1944, où il joue dans les clubs et effectue ses premiers enregistrements. Après avoir remplacé en 1945 Art Tatum dans son trio avec Slam Stewart (contrebasse) et Tiny Grimes , Garner forme son propre trio, formation à laquelle il restera fidèle toute sa carrière.
Entièrement autodidacte, Garner ne savait ni lire ni écrire la musique. Mais ce qui pourrait sembler être un handicap ne l’était pas pour ce musicien pourvu d’une oreille exceptionnelle dont les musiciens rappelaient souvent la capacité à reproduire exactement une mélodie ou un arrangement après les avoir entendus_ et ce dans n’importe quelle tonalité (Doran :1985).
Garner demeure d’autre part un pianiste au jeu orchestral. Les dispositions rythmique et timbrale de son jeu rappellent en effet la section rythmique des années 40-50 : main gauche qui « pompe » le temps* en accords comme les guitaristes et le « fouette » avec des relances percussives, main droite souvent enrichie d’octaves ou d’accords arpégés. Ce style, orchestral aussi bien harmoniquement que rythmiquement, le démarque d’une époque où le piano délaisse la battue systématique du temps (be-bop). Garner n’en ignorait pourtant pas les éléments avant-gardistes et il suffit d’écouter ses introductions pour s’en convaincre.
Virtuose rythmique, technicien total capable de réunir des éléments contrastés en un style original, on peut lui trouver des prédécesseurs en Fats Waller (1904-1943), Clarence Williams (1898-1965) et surtout Jelly Roll Morton (1890-1941), qui furent aussi des novateurs en leur temps.

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