2.2. Jugements sémantiques

Avant d'en commencer l'interprétation, voici les données obtenues concernant les jugements sémantiques sur 18 adjectifs. Les notes égales à 5 données aux adjectifs ayant été jugés non-pertinents ou n’ayant, d’après les productions des participants, pas été compris par les sujets, ont été écartées (la valeur 5 étant la valeur par défaut des mesures proposées, certains participants ont dit explicitement qu’ils avaient souhaité ne pas toucher à la note donnée à certains adjectifs qu’ils trouvaient trop subjectifs ou ne comprenaient pas).

 

 

 

 

 

Si l’on choisit de ne considérer comme pertinents que les adjectifs pour lesquels plus de la moitié des jugements s’écartent de deux points ou plus de la note centrale 5, il nous reste : évocateur (médiane=8), spatial (m=7,5), vivant (m=7), organisé (m=7) et opaque (m=3).

Le même travail réalisé séparément pour les experts et pour les non-experts nous donne quatre adjectifs pour les experts : organisé (m=7), beau (m=7), triste (m=7) et évocateur (m=7) ; et huit adjectifs pour les non-experts : évocateur (m=9), vivant (m=9), intéressant (m=8), spatial (m=8), organisé (m=7,5), coloré (m=7,5), surprenant (m=7) et opaque (m=3).

On observe très peu de différences significatives selon l'expertise des auditeurs. Seuls les adjectifs spatial (p < .05), évocateur (p < .05) et vivant (p ~ .05) obtiennent des scores significativement plus élevés chez les non-experts. On peut imaginer que l’absence de référence et de connaissance préalable de la musique électroacoustique a fait surestimer ces qualités de l’extrait aux non-experts, tandis que l’abondance de références de virtuosité électroacoustique disponibles chez les experts les leur a fait.

Le nombre réduit de sujets ne permet cependant pas de réaliser des analyses statistiques plus poussées.

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La quasi-totalité des experts (contre moins de la moitié des non-experts) n'a pas donné de note (ou plutôt n'a pas bougé la note) pour au moins une des dimensions sémantiques proposées. Quatre experts ont même refusé la notation d’au moins quatre des dimensions proposées (ce qui n’est arrivé chez aucun non-expert), la raison appelée étant soit la subjectivité des notions (aE1, aE2 et aE4), soit la non-compréhension d’un terme (aE4 pour le terme « opaque »), soit un jugement de non-pertinence assumé avant même que la question ne soit posée (aE7).

Les termes les moins acceptés par les experts (pour lesquels au moins 3 sujets sur 7 n’ont pas bougé la note) sont triste, heureux, lumineux, transparent et opaque. On peut être étonné que le sujet aE5 avoue ne pas comprendre l’objet des qualificatifs sombre et lumineux mais accorde pourtant une note de 3 à sombre, laissant le 5 central à lumineux, ce qui a pour effet de ne pas inclure sombre parmi les adjectifs les moins notés / les moins pertinents. Ces deux adjectifs, pourtant très utilisés pour décrire la brillance, et intégrés dans le vocabulaire typomorphologique de Schaeffer, ont été jugés peu pertinents par les experts, cela étant probablement dû à la connotation synesthésique qui s’en dégageait du fait du contexte anecdotique.

Les adjectifs mélodique et rythmé ont été considérés comme pertinents, malgré quelques questions de la part des experts concernant le référentiel. Le sujet aE1 a ainsi posé la question de savoir si l’on parlait des hauteurs ou du « profil mélodique » dans le sens schaefferien du terme, tandis que le sujet aE3 a fait remarquer la différence entre les définitions du mélodique et du rythmique avant et après la « découverte » de la pensée musicale « universelle » (ses mots) par Pierre Schaeffer.

De manière générale, l’ensemble des adjectifs a suscité des réactions très différentes, de la méfiance vis-à-vis de la subjectivité chez les experts à la confiance totale chez un expert (aE6) et trois non-experts (aM2, aN1 et aN2) jugeant le corpus complet et assez exhaustif, tandis que le sujet aE2 remarque que bien que les adjectifs utilisés soient pertinents, il serait possible d’en ajouter beaucoup d’autres.

On voit donc déjà apparaître une nette différence chez les experts qui, s’ils utilisent probablement des processus relatifs au plan corporel de la narrativisation (expérience affective, personnelle, corporelle, subjective), ne semblent en tout cas pas les juger assez pertinents pour être mis en avant. En fait, si on peut interpréter leur recul vis-à-vis de la subjectivité comme une marque de leur expertise, on peut aussi le voir comme une stratégie de défense utilisée pour éviter toute interférence de leur impression avec leur définition de ce qu’ils entendent.

 

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