Le timbre et l’acoustique

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Principes acoustiques du clavicorde

Le son du clavicorde correspond à la vibration de l’air rayonnée au voisinage de l’instrument.
Les couches d’air au contact de la table d’harmonie sont mises en mouvement par la vibration, de faible amplitude, de cette fine plaque de bois (d’une épaisseur de l’ordre de quelques millimètres, pour une surface de l’ordre de 0.09 m2 pour un petit clavicorde).
La table d’harmonie est mise en mouvement par la vibration de la corde, par l’intermédiaire du chevalet. Le chevalet, barre de bois solidaire de la table d’harmonie transmet la vibration de la corde, qui prend appui sur sa pointe de chevalet principalement dans le plan vertical. La vibration de torsion de la corde et sa vibration dans le plan transverse jouent également un rôle, mais de second ordre.
Notons que la surface d’une corde est beaucoup trop petite pour mettre directement l’air en vibration de manière audible (par comparaison la surface est de l'ordre de 0,0005 m2 pour la plus grande cordes d’un clavicorde). Une corde vibrant entre deux extrémités absolument fixes ne produit aucun son audible.
La figure 7 illustre le principe du fonctionnement acoustique du clavicorde.


Figure 7 : principe de production du son dans le clavicorde.

La table d’harmonie agit donc comme une membrane ou une plaque mobile mise en mouvement par la force appliquée au niveau du chevalet par les cordes. La corde est un oscillateur, c’est à dire un système qui vibre lorsqu’il est déplacé de sa position de repos et d’équilibre.
En première approximation, la corde est « infiniment souple », elle n’a pas de raideur. Les seules forces qui la régissent sont la tension (et la gravité) et la force appliquée par la tangente.
En excitant la corde, par une perturbation (frappe), on provoque un ébranlement, une onde de déformation, qui se déplace le long de la corde, à une vitesse de l’ordre de 200-300 m/s.
Cette onde est réfléchie au chevalet, puis à la tangente, qui joue le rôle de sillet. Le processus de réflexion et de circulation de la déformation le long de la corde se répète jusqu’à épuisement de l’énergie apportée par la frappe d’excitation initiale.
La force appliquée sur la table d’harmonie par la corde est proportionnelle à la tension de la corde et à l’angle de la corde sur le chevalet dans le plan perpendiculaire à la table. Cet angle varie avec la perturbation imposée à la corde.
La force du son est donc proportionnelle à l’excursion de la corde au chevalet. Les autres modes de vibration de la corde, le mouvement dans le plan parallèle à la table d’harmonie, le mouvement de torsion de la corde, le mouvement de compression de la corde jouent un rôle, mais moins important, dans le son produit.
Le couvercle du clavicorde joue un rôle « d’abat-son » : il réfléchit le son produit par la table et améliore ainsi la directivité du rayonnement de l’instrument. La partie « morte » des cordes située entre le chevalet et les chevilles d’accord joue un rôle de cordes sympathiques, car elles sont mises en vibration par le mouvement du chevalet. Elles apportent de la réverbération au son de l’instrument. La cavité sous la table d’harmonie agit comme un résonateur, qui amplifie certaines régions fréquentielles dans le grave du spectre.

Notons que tous les cordophones à clavier fonctionnent selon des principes similaires : une corde est mise en mouvement, ce mouvement provoque la vibration de la table d’harmonie, qui rayonne le son. Les différents instruments diffèrent principalement dans le mode de mise en vibration des cordes. Des instruments par ailleurs très semblables ont ainsi des timbres très différents.

Toucher la corde : la corde liée

Le mode de mise en vibration de la corde est très particulier pour le clavicorde. La corde est frappée, comme pour le piano, mais contrairement au piano la corde est liée à la tangente pendant toute la durée de la note. En effet, contrairement au marteau qui rebondit et quitte la corde après le contact, laissant la corde vibrer librement, la tangente reste solidaire de la corde après le contact initial. Elle fait ainsi office de sillet : la corde oscille entre les deux extrémités que sont la tangente et le chevalet. Le sillet du clavicorde est donc mobile, ce qui est unique pour les cordophones à clavier, mais rapproche le clavicorde des instruments à cordes sans frettes, comme ceux de la famille des violons, ou bien des instruments à sillet mobile, comme le monocorde vietnamien.

Ce mode d’excitation de la corde entraîne des conséquences importantes. Le doigt est en quelque sorte solidaire de la corde, il touche la corde par l’intermédiaire du clavier. Ainsi, le doigt augmente la tension de la corde en même temps qu’il la déplace : la tension de la corde, la vitesse du doigt et le déplacement de la corde sont liés.

La corde est frappée à une de ses extrémités, ce qui du point de vue mécanique est le pire endroit pour mettre en vibration une corde tendue. C’est en effet l’endroit qui vibre avec le moins d’amplitude, en théorie c’est un point fixe de la corde. C’est l’endroit le moins efficace pour exciter une corde. Cela explique le son faible du clavicorde joué par la tangente, comparé à la même corde frappée ou pincée en son centre : il suffit de jouer un clavicorde avec un médiator de guitare pour se rendre compte que le son obtenu est beaucoup plus fort.

Seule la partie gauche de la corde, liée à la table d’harmonie doit produire un son. Sa partie droite doit être étouffée par une bande d’étoffe : l’étouffoir.

La forme de la corde lors de l’attaque, la montée de la tangente est schématisée sur la Figure 8. En montant, la tangente soulève la corde, et provoque le départ d’une déformation par un point anguleux. La vitesse de déplacement de la tangente, au plus 1,5 m/s, est petite par rapport à celle du déplacement de la déformation, de l’ordre de 200 ou 300 m/s.

Les exemples vidéo 1 et 3 montrent, avec deux cadences d’images (3000 images par seconde et 36000 images par seconde), le mouvement de la tangente contre la corde. On remarque que le contact est rigide, la corde adhère à la tangente. Le mouvement d’oscillation de la corde est également visible. La corde semble se mouvoir comme un segment droit. La note jouée est le ré 1, accordé avec un diapason de 415 Hz, soit une fréquence d’environ 70 Hz. Un cycle de vibration dure environ 14 ms, ce qui correspond à 43 images par cycle à 3000 images/seconde et 514 par cycle à 36000 images/secondes.

Les exemples vidéo 2 et 4 montrent, avec deux cadences d’images (3000 images par seconde et 36000 images par seconde), le mouvement de la corde en son centre. La corde initialement au repos reçoit la perturbation due au mouvement de la tangente, s’élève puis redescend à la cadence de l’oscillation. Un cycle de vibration dure environ 14 ms, ce qui correspond à 43 images par cycle à 3000 images/seconde et 514 par cycle à 36000 images/secondes.

Exemple vidéo 1 : le mouvement de la tangente lors de l’attaque d’une note est filmé à une vitesse de 3000 images par secondes. On remarque sur l’image le mouvement de la corde qui oscille.

Exemple vidéo 2 : le mouvement de la corde en son centre est filmé à une vitesse de 3000 images par secondes. L’ombre portée par la paire de cordes est visible sur l’image, et montre une seconde image du déplacement de la corde. Les autres cordes, fixes, figurent en arrière plan de l’image.

Exemple vidéo 3 : le mouvement de la tangente lors de l’attaque d’une note est filmé à une vitesse de 36000 images par secondes. L’ombre portée par la paire de cordes est visible sur l’image, et montre une seconde image du déplacement de la corde. Les autres cordes, fixes, figurent en arrière plan de l’image.

Exemple vidéo 4 : le mouvement de la corde en son centre est filmé à une vitesse de 36000 images par secondes. L’ombre portée par la paire de cordes est visible sur l’image, et montre une seconde image du déplacement de la corde. Les autres cordes, fixes, figurent en arrière plan de l’image.

La déformation de la corde atteint le chevalet et s’y réfléchit. La corde prend la forme de fuseau représentée en bas de la figure 8. L’échelle verticale est considérablement augmentée par rapport à l’échelle horizontale dans ces représentations schématiques. La partie gauche élevée correspond à la tangente, la partie droite au chevalet.


Figure 8: forme stylisée de la corde lors du jeu. En haut: début de la note, en bas, pendant la note. A: pointe d'accroche. B: position de la tangente. C: chevalet. D: cheville d'accord. E: point anguleux qui se déplace le long de la corde.

Pendant la vibration de la corde, sa forme est celle d’un fuseau, entre la tangente et le chevalet. La tangente ne bouge quasiment plus pendant la tenue.

Le son du clavicorde

Le son du clavicorde est un son percussif. La forme d’onde, ou oscillogramme, d’une note typique (l’évolution de la pression rayonnée au cours du temps) est portée figure 9. Cette note (un fa#4 370 Hz sur le clavicorde BS) d’une durée de 3,5 s environ se décompose en quatre phases principales. La première phase est une attaque très rapide, un front montant quasiment vertical, qui correspond au choc de la tangente sur la corde. Dans une seconde phase, le son décroit rapidement (jusqu’à environ 0.5 s). Dans une troisième phase, le son décroit plus lentement. Enfin un bruit transitoire est produit lors du relâchement de la note, et de la séparation avec la tangente, vers 3,5 s, avant l’extinction du son.

Figure 9 : forme d’onde d’une note de clavicorde. A : transitoire d’attaque, B : décroissance rapide. C : décroissance lente. D : transitoire de relâchement.

Figure 10 : spectrogramme d’une note de clavicorde (correspondant à la forme d’onde précédente). A : transitoire d’attaque, B : décroissance rapide. C : décroissance lente. D : transitoire de relâchement.

Le spectrogramme du son de la note de la figure 9 est porté en figure 10. Cette image représente l’évolution temporelle (le temps est en abscisse) de la composition fréquentielle du son (la fréquence est en ordonnée). Le son est quasi périodique, avec des harmoniques (traits horizontaux parallèles) bien visibles. Le spectre est riche en harmonique, la sonorité est donc brillante, à cause du contact métallique entre la corde et la tangente. Les harmoniques supérieures s’amortissent plus vite, le son est percussif. Seules quelques harmoniques graves durent plus d’une seconde. On remarque aussi une modulation des harmoniques 4 et 5, probablement à cause de l’effet de modulation des cordes sympathiques, ou d’un léger désaccord des deux cordes d’un chœur. A la fin de l’image, on remarque une barre verticale : c’est le bruit d’extinction lorsque la corde est relâchée.

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