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Expérience 1 : validation cognitive des UST

Quinze musiciens et 15 non-musiciens, sans connaissances relatives aux UST, ont pris part à cette expérience. Chaque participant était face à un écran d’ordinateur, sur lequel apparaissaient 18 billes, qui correspondaient à 18 extraits musicaux. Ces fragments musicaux ont été extraits d’œuvres existantes par les chercheurs du MIM et correspondent à des UST. Plus particulièrement, les 18 extraits correspondaient à 6 catégories d’UST (choisies aléatoirement parmi les 19 UST par le logiciel au début de chaque passation, pour chaque participant), chacune représentée par 3 extraits musicaux. Le matériel musical était donc composé de 57 extraits, à savoir 3 extraits pour les 19 catégories d’UST.

La lecture d’un extrait musical débutait lorsque le participant cliquait sur la bille qui lui était associée. La passation était individuelle et l’écoute se faisait par l’intermédiaire d’un casque. Les participants avaient pour tâche d’écouter les 18 segments musicaux et de les rassembler ou de les séparer pour constituer des groupes d’extraits qui se ressemblent. Dans un premier temps, l’expérimentateur ne donnait aucune instruction particulière quant aux critères de regroupement (catégorisation libre – consigne A). Cette première tâche effectuée et les résultats enregistrés, le participant devait catégoriser 18 nouveaux extraits, mais en se focalisant cette fois sur le déroulement temporel des segments musicaux, la façon dont ils évoluent dans le temps (catégorisation forcée – consigne B).

Les résultats ont montré que les participants réalisent en moyenne 5.62 groupes, le nombre de groupe « idéal » étant de 6, correspondant aux 6 catégories d’UST présentées. La différence entre le nombre de groupes réalisés par les musiciens (5.79) et celui réalisé par les non-musiciens (5.47) n’était pas significative. Pour la tâche de catégorisation libre, le nombre moyen de groupes était de 5.55, et de 5.69 lorsqu’on orientait le participant sur le déroulement temporel des extraits, la différence entre ces deux conditions d’écoute n’étant pas significative.

Nous avions de plus réalisé le calcul d’une fréquence de reconnaissance pour chaque UST, ainsi que celui d’une fréquence de confusion. La fréquence de reconnaissance, d’associations correctes, représente le fait que les segments d’une même UST sont regroupés ensemble, et correspond au nombre de fois où un segment a bien été mis avec les autres segments de son UST, sur l’ensemble des associations possibles. La fréquence de confusion représente quant à elle l’association de segments musicaux avec ceux d’une autre UST. Elle correspond à la fréquence d'association erronée sur le nombre d'UST concernées. Dit autrement, il s’agissait du nombre de fois où les segments d’une UST ont été mis avec les segments d’autres UST, divisé par le nombre d’UST concernés. Ainsi, la fréquence de confusion est plus importante lorsque toutes les « erreurs » se concentrent sur une seule autre UST. Une fréquence de reconnaissance faible ou moyenne, associée à une répartition des erreurs sur une ou deux autres UST est un indicateur de confusion entre les UST concernées. En revanche, une UST est valide lorsqu'elle présente une forte fréquence de reconnaissance et que les quelques erreurs se répartissent entre plusieurs autres UST.

La fréquence moyenne de reconnaissance était de 0.37 pour les non-musiciens avec la consigne A, de 0.37 pour les non-musiciens avec la consigne B, de 0.38 pour les musiciens avec la consigne A et de 0.41 pour les musiciens avec la consigne B. Les analyses statistiques n’ont pas révélé de différences significatives entre ces différentes fréquences de reconnaissance, ne montrant ni un effet de l’expertise, ni un effet de la consigne, et pas non plus d’interaction entre l’expertise et la consigne.

Concernant la fréquence de confusion, la moyenne pour les non-musiciens avec la consigne A était de 0.07, de 0.06 pour les non-musiciens avec la consigne B, de 0.06 pour les musiciens avec la consigne A, et de 0.06 pour les musiciens avec la consigne B. Ici encore, les analyses statistiques n’ont pas montré d’effet significatif de l’expertise, ni d’effet de la consigne et pas non plus d’effet d’interaction sur la fréquence de confusion.

La figure 1 ci-dessous permet de comparer les fréquences de reconnaissance et de confusion pour chaque UST, dans chaque groupe d’expertise et pour chaque consigne. Nous pouvons y voir que l’UST Elan présentait une forte fréquence de confusion (0.20) dans le groupe des non-musiciens sans consigne particulière (A), associée à une faible fréquence de reconnaissance (0.22). Ses segments étaient en fait fréquemment regroupés avec les segments de 4 autres UST, qui sont Lourdeur (0.17), Qui avance (0.22), Qui tourne (0.17) et Suspension-Interrogation (0.22). Dans le groupe des musiciens sans consigne particulière (A), c’était l’UST En suspension qui présentait la fréquence de confusion la plus élevée (0.12), et ses segments étaient souvent associés avec ceux de l’UST Qui tourne (0.21), Stationnaire (0.11), Sur l’erre (0.11) et Trajectoire Inexorable (0.11). Enfin, l’UST Obsessionnel, dans le groupe des non-musiciens avec la consigne orientée sur le déroulement temporel, montrait une fréquence de confusion de 0.14. Ses segments étaient souvent associés avec des segments des UST Qui tourne (0.24), Sans direction par excès d’information (0.20) et Trajectoire Inexorable (0.12).


Figure 1. Fréquence de confusion (ordonnée à gauche) et de reconnaissance (ordonnée à droite), pour les 19 UST (par ordre alphabétique), dans les deux groupes d’expertise (Non-musiciens et Musiciens), pour les deux consignes (consigne A et consigne B).

En résumé, les résultats de cette expérience ont montré que des participants effectuaient spontanément des regroupements qui correspondent globalement aux UST, sans qu’il soit nécessaire de les mettre dans une attitude d’écoute particulière, orientée sur le déroulement temporel des extraits. De plus, l’expertise musicale des participants n’a pas eu d’effet sur le nombre ou le type de regroupements effectués. La valeur sémiotique des segments musicaux, liée à leur déroulement temporel, était évaluée aussi bien par les non-musiciens que par les musiciens. Les processus perceptifs et cognitifs engagés dans la tâche de catégorisation que nous avions utilisée seraient donc largement indépendants de connaissances musicales explicites mais reposeraient plutôt sur des processus généraux, basés sur des connaissances implicites. Ces résultats valident dans l’ensemble la pertinence psychologique des catégories d’UST proposées par les chercheurs et musiciens du MIM. Cependant, ces différentes catégories d’UST ne sont pas équivalentes au regard de la catégorisation, et les extraits de certaines d’entre elles ont été plus souvent regroupés ensemble que ceux d’autres catégories d’UST.

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