2.3.3. Anecdotes

[les (1) et (2) désignent la première et la seconde écoute lors du test]

 

Bien qu’il n’y ait pas de différence après la première écoute entre le groupe expérimental et le groupe témoin, ce sont les sujets du groupe témoin qui manifestent le plus de rapports anecdotiques après la seconde écoute. Cela pourrait bien être lié à l’influence de l’entretien d’auto-confrontation demandé aux experts sur leur stratégie d’écoute : alors que le groupe témoin se trouve en situation de deuxième écoute, certes extériorisée du fait de devoir commenter en direct, mais relativement libre par ailleurs, le groupe expérimental se trouve dans une situation qui lui demande de comparer sa réalisation préalable au déroulement de l’extrait. La tâche de comparaison pourrait détourner l'attention de nouveaux rapports anecdotiques.

Les sujets qui établissent l’interaction entre le « souffle » et les « cloches » définissent alors le souffle comme du « vent » qui fait bouger les « cloches », « nacres » ou « petits tubes ». Ce processus nous ramène à la question de l’identification sonore après-coup : le souffle était-il perçu comme du vent avant l’apparition des cloches ou bien n’est-il défini comme tel que par son rapport avec les cloches (pouvant alors être implicite chez les participants n’en faisant pas mention explicite) ? De même, les cloches étaient-elles perçues comme un  carillon avant leur rapport avec le vent ? Il est clair chez certains sujets (aN3 par exemple) que les deux éléments sont perçus séparément, le souffle étant identifié comme du vent avant l’arrivée du « carillon » lors de la deuxième écoute. Mais là encore, il serait nécessaire de réaliser un commentaire en temps réel lors d’une première écoute afin d’évaluer l’influence du discours et de la catégorisation préalables sur les identifications effectuées lors de la deuxième écoute.

Le rapport établi entre les « chants », les « bruits de pas » et de « papier » est celui de la supposition d’un humain présent, qui est celui qui parle ou chante, mais aussi celui qui marche et manipule des feuilles de papier ou un livre. La perception de ce rapport interagit aussi avec la présence d’une diégèse adaptée (c'est-à-dire d'un monde imaginaire qui en permet l'inclusion), dont on parlera plus loin afin d’évaluer les processus de construction diégétique.

Huit autres rapports anecdotiques d’interaction (entre des éléments dans un espace-temps commun) peuvent être trouvés dans les productions des sujets, mettant en jeu pour sept d’entre elles le « bébé ». Pour ce qui est des oppositions spatiotemporelles, quatre sont évidentes, marquant les oppositions entre intérieur et extérieur, vie intra-utérine et enfance, enfance et âge adulte, milieu urbain et milieu rural.

Une valeur particulière peut être accordée à un rapport anecdotique particulier, établi entre le « bébé » et le « son musical » par le sujet aM2. En effet, l’interaction remarquée oscille entre l’interaction purement musicale (l’alternance entre les deux unités) et l’interaction de nature plus écologique (le « bébé » finissant par être « battu » par le « son musical », disparaissant peu à peu pour laissant la place à ce dernier). C’est ici une belle illustration d’un chemin partant non d’une coexistence spatio-temporelle, mais d’une interaction abstraite musicale pour retourner via une sémiotisation associative à une diégétisation (ce qui pourrait aussi être la base d’un certain nombre de mises en histoire appliquées à la musique instrumentale). Mais prenons garde : comment savoir si ce qui est exprimé ici par le sujet en question est la description de son impression perceptive ou la métaphorisation d’un processus musical sous forme narrative sans autre réalité perceptive que le besoin de mieux pouvoir décrire le processus ?

 

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