3. Synthèse

3.1. Expertise

Les experts, comme nous l’avons vu avec l’analyse des mesures en temps réel et des verbalisations qui y sont liées, semblent avoir une conception du musical plus large et une perception du musical moins labile que celles des non-experts face à l’anecdotique. Cela se manifeste notamment par l’orientation de leur discours sur le son plutôt que sur l’anecdote - ce qui est probablement lié à leur habitude de l'écoute réduite, qui met de côté les causes et significations du son pour tenter d'apprécier les qualités (sonores) de celui-ci[1].

De plus, leurs jugements sont moins prononcés que ceux des non-experts. Cela est probablement dû à la quantité de références de virtuosité technique et technologique connues par les experts, tandis que les non-experts, certainement étonnés de découvrir cette forme de musique, tendent à prononcer leurs jugements de manière plus marquée.

Par ailleurs, la question de la subjectivité est souvent soulevée par les experts, qui l’utilisent comme un critère pour ne pas porter de jugement sémantique, cela étant possiblement causé par leur éducation en conservatoire qui peut chercher à leur donner un certain recul vis-à-vis des termes employés pour parler de la musique. L’absence de notation concernant certains adjectifs sur lesquels les autres participants s’accordent (beau, triste) pourrait aussi être la manifestation d’un mécanisme de défense tel que celui qu’observe Francès lorsque certains sujets refusent de donner un titre à un extrait musical par principe, déclarant que la musique se suffit à elle-même (alors que les titres donnés convergent bien tous vers les mêmes orientations sémantiques)[2].

La différence se situe enfin, en parallèle au refus de la subjectivité chez les experts, dans la concentration des indicateurs de narrativisation corporelle chez les non-experts. Il ne faut cependant pas nécessairement considérer que cette différence relève de l'écoute, puisque qu'elle pourrait être dûe à la nature de la tâche (verbalisation) - Bigand et Poulin-Charronnat ont d'ailleurs montré que bien que certaines capacités d'écoute musicale puissent exister de la même manière chez les experts et les non-experts, sur le plan de la verbalisation et des tâches explicites, les experts ont un avantage [3].

 

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[1] Schaeffer, Pierre, Traité des Objets Musicaux, Paris, Seuil, 1966.

[2] Francès, Robert, La perception de la musique, Paris, Librairie Philosophique J.Vrin, 2002, p. 254.

[3] Bigand, Emmanuel et Poulin-Charronnat, Bénédicte, « Are we 'experienced listeners'? A review of the musical capacities that do not depend on formal musical training », Cognition, n°100, 2006, p. 100-130


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