Génétique de l'œuvre

Xenakis n’a pas écrit de texte analytique sur Pour la Paix. Il n’existe qu’une brève notice, rédigée à l’occasion de la création en concert[1] ainsi que quelques brefs propos tenus dans des entretiens. Comme matériau dans les Archives Xenakis, nous avons un dossier[2] qui contient notamment le montage des textes de Françoise Xenakis avec quelques indications sur la musique à composer ainsi que le programme de la création. Les bandes numérisées des Archives Xenakis sont plus conséquentes. À côté de plusieurs copies de la pièce en plusieurs pistes ou en réduction[3], elles contiennent les enregistrements des parties de chœur en plusieurs prises[4] ou dans la version définitive[5], les enregistrements des récitants[6] ainsi que les sons UPIC[7] – pour ces derniers, nous y reviendrons plus en détail.

Les documents contenus dans les Archives Xenakis nous permettent de comprendre dans quel ordre la pièce a été composée. Un premier document consiste en 20 feuillets où Xenakis a fait un montage des extraits choisis de textes de Françoise Xenakis. Il a probablement réalisé des photocopies de ces extraits, les a découpés, puis collés sur les feuillets[8]. Puis, sur ces mêmes feuillets, il a distribué le texte aux quatre récitants (nommés par leurs prénoms – mais pas dans la totalité du texte) et, dans la marge de droite, il a noté les sons UPIC « bleus ». Sur un second document, consistant en 14 feuillets, on trouve une copie du texte assemblé. Il y est indiqué « version complète définitive » et « au crayon les coupures pour une version raccourcie ». Effectivement, dans la version finale, le texte est abrégé et quelques mots sont changés. Sur ces mêmes feuillets, on trouve des indications pour la musique : les interventions projetés pour les parties de chœur sont indiquées (« chœurs ») ; les séquences UPIC, nommées M1, M2, etc. – comprenant également l’indication de leur durée – correspondent globalement (mais pas tout à fait) à la version définitive ; dans quelques passages, on a des annotations sur le type de sons nécessaires ; enfin, certaines phrases du texte sont assemblées en paragraphe, d’autres séparées (afin sans doute d’illustrer musicalement un mot).

Ainsi, la première étape a consisté à créer le texte, en montant des extraits. Puis, Xenakis a pensé associer certains passages à quelques sons UPIC (« bleus ») peut-être déjà composés.  Enfin, il a ajouté sur le texte les moments précis ou interviendront les autres éléments musicaux : chœurs et autres sons UPIC, qu’il fallait probablement composer.

L’entretien avec Daniel Teruggi permet de retracer l’ordre de composition de ces éléments :

« Il a commencé par le texte de Françoise Xenakis qu'il a utilisé pour le texte du chœur (8 voix solistes), il les a enregistrées avec les chœurs de Radio France. Moi j'interviens une fois l'enregistrement fini et couché sur une bande 8 pistes 1 pouce, chaque chanteur sur une piste, le premier travail a consisté à faire une réduction stéréo des enregistrements […] Ceci se passe dans les studios du GRM.

Ensuite on a enregistré les comédiens, avec séance de sélection en compagnie de Françoise Xenakis et enregistrement dans les studios de Radio France. Suite à l'enregistrement, choix des séquences, montages, etc.

À ce moment, on commence le montage de l'œuvre sur un magnétophone 8 pistes : 4 pistes pour les sons UPIC, 2 pour les comédiens, 2 pour les chœurs. À partir de cette version nous avons réalisé la version 4 pistes, original définitif dans laquelle les niveaux sont bien équilibrés. J'ai utilisé (faute de temps) la version 8 pistes pour le concert de création.

Xenakis avait 2 ou 3 bobines de son qu'il avait préparé préalablement, on a passé beaucoup de temps à écouter, prémixer et construire progressivement la continuité de l'œuvre. Mais il manquait plein de sons et c'est pourquoi il partait le soir assez tôt pour aller à l'UPIC fabriquer des nouveaux sons, cette fois-ci avec une fonction précise par rapport à la narrativité du texte »[9].

Pour résumer, l’ordre a dû être le suivant : montage du texte ; composition et enregistrement des parties de chœur ; enregistrement des récitants ; montage des sons UPIC existants, composition de nouveaux sons UPIC et montage final.

Deux éléments sont frappants. D’abord, on constate que le texte constitue le support premier et qu’il le reste jusqu’au bout, même si les parties chorales et les séquences UPIC les plus consistantes créent des moments purement musicaux. Ensuite, on notera que Xenakis procède par montage (c’est déjà la cas du texte), en ajoutant progressivement les divers éléments.

En ce qui concerne les dates, les documents d’archives consultés n’en contiennent aucune. Le catalogue Salabert indique 1981. Mais Daniel Teruggi mentionne également le début 1982, pour le travail qu’ils ont effectué ensemble :

« Je ne peux pas avoir oublié la période étant donné que mon fils aîné est né le 16 avril et on était en plein mixage. Les dates s'étalent de janvier 1982 à mars pour l'enregistrement des comédiens et des chœurs, et de mars jusqu'à la veille du concert (22 avril) pour le mixage de l'œuvre. Le 22 avril à 23h, après avoir écouté l'œuvre avec Françoise Xenakis, nous sommes allés manger des côtes d'agneau aux Ondes… »[10].

On peut supposer que le montage du texte – qui a dû se faire vite – et l’écriture ainsi que l’enregistrement du chœur ont occupé Xenakis fin 1981, puis vint, début 1982, le travail avec Teruggi qui comprend les autres phases.

 

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[1] Archives Xenakis, dossier écrits 9/52 (également dans dossier œuvres 26/4).

[2] Archives Xenakis, dossier œuvres 26/4.

[3] Archives Xenakis (Tolbiac), Xenakis 364, 365, 514, 567, 568, 569.

[4] Archives Xenakis (Tolbiac), Xenakis 381 et 382.

[5] Archives Xenakis (Tolbiac), Xenakis 573.

[6] Archives Xenakis (Tolbiac), Xenakis 572.

[7] Archives Xenakis (Tolbiac), Xenakis 416, 570, 571, 574, 603.

[8] Il a utilisé du scotch, ce qui fait que, lors de notre dernière consultation de ce document (avril 2012), de nombreux passages découpés ne tenaient plus sur les feuillets.

[9] Daniel Teruggi, entretien écrit (email), avril 2012.

[10] Daniel Teruggi, entretien écrit (email), 1er juin 2014. « Les Ondes » est un café-restaurant situé face à Radio France.


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