Composition, interprétation et figuralisme dans la musique du عود (‘ûd) [luth arabo-oriental] de concert
Analyse auditive de l'abri d'al-Amiriyya de Naseer Shamma

Hamdi Makhlouf

Introduction

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3.1

Chapitre 3.2

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Conclusion

Références

Translittération

4. Contexte de l'œuvre : compréhension des intentions compositionnelles

 

 

 

Jusqu’à maintenant, l’analyse est restée liée au matériau musical de l’œuvre. Cette liaison donne une parfaite image sur sa forme et sur la constitution de ses éléments musicaux. En revanche, et à l’essence de l’acte créatif même, la forme n’est qu’un reflet d’une pensée compositionnelle. La tromperie que peut engendrer un reflet (donner une image contraire de la réalité) incite à faire plus de recherches sur les intentions du compositeur. Nous aurons donc affaire à d’autres éléments, externes à la musique, pour mieux la comprendre. Commençons par le titre de l’œuvre : L’abri d’al-Amiriyya. Le mot abri renvoie à un champ lexical relatif au refuge, à la cachette et à la protection. Ce même lexique sous-entend une fuite, un incident quelconque ; d’autant plus que Shamma n’hésite pas à nommer l’œuvre حدث في العامريّة (Ḥadatha fil-‘Âmiriyya) [quelque chose s’est passé à Al-Amiriyya]. [16] L’intitulé relève aussi le nom d’al-Amiriyya, un petit village en Iraq ; le compositeur étant aussi iraquien d’origine. L’année de la composition de l’œuvre est une information clé dans la compréhension du choix de Shamma : 1991 est une année qui marque la fin de la première guerre du Golfe dans l’histoire contemporaine de l’Iraq. Une première exégèse peut être propsée dans ce cas : L’abri d’al-Amiriyya est une création musicale dédiée à un événement relatif à cette guerre ou à sa fin. Ceci est confirmé par la lecture du livret qui accompagne le disque : le commentaire de cette œuvre, écrit par Habib Yammine – ethnomusicologue et musicien percussionniste de talent -, confirme cette hypothèse :

[16] C'est ainsi qu'il nomme son œuvre dans plusieurs de ses concerts

 

 

« Le témoignage d’une tragédie qui survint à al-Amiriyya, un abri dans lequel un groupe d’enfants était venu se réfugier lors d’un bombardement ; les enfants y trouvèrent la mort, ensevelis sous les décombres. C’est à la fois un cri de révolte contre la sauvagerie et la barbarie, un hymne à l'innocence, des pleurs exprimant la peine et la profonde tristesse et des prières pour garder l’espoir dans la vie (…) »

 

Ce commentaire, utilisé pour la description de l’œuvre, se veut d’une extrême importance dans la compréhension des intentions générales du compositeur. Les vocables utilisés sont très significatifs par rapport à l’écoute. On peut relever en particulier les termes suivants : enfants, bombardement, mort, cri, révolte, hymne, innocence, pleurs, prières, espoir et vie. Ces mots peuvent être attribués, en conformité avec les aspects expressifs les plus saillants,aux différentes parties de l'œuvre :

 

   

Segments (fig.1)

A / B / C / D

E/ F / G

J / K / L / M / N

H / I

Sections du spectre (fig.2)

1

2

3

4

Mots

Enfants, innocence

Bombardement, cri

Mort, pleurs, prières

Révolte, hymne, espoir, vie

Tension / Détente

Détente

Tension

Détente/ transition

Tension progressive

Détente

Tableau N°4

 
   

La phase de Détente/transition est à la fois la résolution de la tension précédente et la préparation à une nouvelle tension. Nous remarquons, par ailleurs, que l’enchaînement des mots ci-dessous expose la suite logique illustrant une scène bien définie. L’œuvre devient une représentation d’un réel vécu dans un endroit donné en un moment donné. Shamma tendait donc à faire parvenir les images de ce vécu à travers sa musique ; une musique qui tire toute sa valeur sémantique de ce vécu.

Ces données suggèrent deux questions principales : si cette œuvre de Shamma contient un message d’essence humaniste, en quoi consisterait sa prestation en tant qu’interprète qui « ne s’adresse pas ; chez lui, aucun désir de transmettre un message, mais une invitation à participer, à une expérience d’essence spirituelle. » [17] ? D’un autre coté, si cette même expérience spirituelle entraîne une abolition de l’entre-soi, en quoi l’interprétation de Shamma formerait un partage d’un fil de compréhension entre lui et ses auditeurs ?

 

 

 

 

[17] CAULLIER Joëlle, " la condition d'interprète", DEMéter, Université Lille-3, 2002, p.5. Texte en pdf disponible sur ce lien.