Editorial

Dans le prolongement des travaux de Pierre Schaeffer sur la notion d’objet sonore, l’équipe du laboratoire de Musique et Informatique de Marseille (MIM) s’est orientée, depuis une dizaine d’années, vers la définition d’un outil d’analyse musicale basé sur l’écoute : les Unités Sémiotiques Temporelles (UST). Les UST permettent de caractériser des évolutions temporelles musicales à partir de leur organisation morphologique et cinétique [*]. Conçues pour l’analyse de la musique électroacoustique, les UST s’avèrent être efficaces également pour des styles de musique assez variés, comme en témoigne la diversité des analyses actuelles. En tant qu’outil permettant de fournir une signification à des données temporelles, les UST semblent présenter un caractère général qui dépasse le cadre musical. Les premières analyses psychologiques tendent à montrer que les UST seraient liées à des représentations mentales construites très tôt, à partir de l’expérience corporelle du mouvement. Plusieurs études en cours, menées conjointement dans le domaine des arts graphiques, de la danse, en multimédia, mais aussi en neurosciences et en psychologie cognitive, s’intéressent à la généralité que représente une sémiotique temporelle basée sur les UST.

Ce numéro de Musimédiane consacré aux UST se présente principalement sous l’angle de la prospective et de la recherche expérimentale.

La première partie s’articule autour des orientations générales de la recherche actuelle sur les UST. Le premier article présente une vue synthétique de leur définition et des premiers travaux de généralisation des UST à d’autres arts. Cet article est complété par un compte-rendu des actes du colloque consacré aux UST qui s’est tenu en décembre 2005. Les recherches en modélisation des UST seront abordées à travers le modèle des Motifs Temporels Paramétrés (MTP) qui fournit une représentation du comportement temporel global de variables pertinentes. Enfin, la validité cognitive des UST et du modèle des MTP sera étudiée à travers trois expériences menées par le laboratoire Cognitions Humaine et Artificielle (Paris 8).

La seconde partie de ce numéro est consacrée à l’analyse musicale en UST. Une nouvelle œuvre (Le ruisseau sur l’escalier de Franco Donatoni) vient s’ajouter au corpus des morceaux analysés par les membres du MIM, le mode d’expression multimédia en ligne promu par Musimédiane facilitant l’accès du lecteur/auditeur au propos analytique par rapport aux formes de diffusion habituelles papier ou CD-Rom. Mais cette partie du dossier propose aussi une réflexion sur la nature même de la pratique d’écoute et d’analyse développée depuis une vingtaine d’années par le MIM. D’abord à travers la publication d’états successifs (et partiellement contradictoires) d’une même analyse de Lumina d’Ivo Malec. Mais aussi à travers le compte rendu d’une observation socio-ethnographique de quelques séances d’écoute consacrées à l’œuvre de Donatoni déjà citée.

La troisième partie est consacrée à des travaux d’analyse et de création d’oeuvres visuelles ou multimédia se basant sur les UST. Dans le premier article, est proposée une simple animation visuelle conçue à partir du contenu sémantique des fiches descriptives des UST musicales. Dans le second article, l’analyse du film d’animation abstrait Rhythm 21, de Hans Richter, est menée conjointement en UST et en MTP. L’analyse de l’oeuvre multimédia passage, qui est une collaboration du compositeur Marcel Frémiot et de l’artiste multimédia Philippe Bootz, montre la réflexion menée pour donner une cohérence à des évolutions temporelles présentes dans différents médias. Pour terminer ce numéro, nous proposons un programme ludique permettant de simuler des UST visuelles en jouant sur des paramètres de position et de taille.


Notes

[*] En dehors des écrits du MIM, les UST ont été présentées en 1998, lors du 4e congrès ICMS par François Delalande et Pascal Gobin (« Les Unités Sémiotiques Temporelles : un niveau d’analyse de l’organisation musicale du temps », in Les Universaux en musique, actes du 4e Congrès International sur la Signification Musicale, sous la direction de C. Miereanu et X. Hascher, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 573-587).