iAnalyse : le couteau suisse de l’analyse Multimédia

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Pierre Couprie, membre du comité de rédaction et cheville ouvrière de la revue Musimediane, vient de mettre en ligne son nouveau logiciel dédié à l’analyse musicale et nommé iAnalyse, sans doute pour rappeler les logiciels de la série ilife de Apple, dont la clarté visuelle et la convivialité ont manifestement servi de référence conceptuelle. C’est un outil qui va vite devenir indispensable pour les analystes de l’avenir, et qui va grandement faciliter les présentations analytiques multimédia : avis aux futurs contributeurs du site Musimediane !

On ne saurait trop remercier l’auteur d’avoir mis gratuitement à la disposition de notre communauté un outil aussi bien réalisé, simple d’utilisation, largement et abondamment pourvu de tutoriels, avec un sens pédagogique sans équivalent.
Conçu par un analyste et un compositeur rompu aux nouvelles technologies (on trouvera sa remarquable analyse de Bohor de Xenakis à l’adresse suivante : http://cicm.mshparisnord.org/ColloqueXenakis/ ), ce logiciel permet de réaliser très simplement toutes les opérations dont rêvait depuis longtemps les musicologues et les musiciens attirés par les moyens multimedia. Synchronisation du son et des animations sont devenus très simples, à partir de toutes les images que l’on peut envisager. Tous les types d’annotations sont prévus et peuvent s’afficher en temps réel. iAnalyse permet aussi de construire toutes sortes de graphiques avec une grande simplicité, (même les diagrammes formels !).

Bref, ce nouveau couteau suisse de l’analyste du vingt-et-unième siècle devait être inventé, et nous sommes très fiers que ce soit un membre du comité de rédaction de Musimediane qui l’ait fait.

Juste un bémol : pour l’instant, seuls les utilisateurs de mac pourront se servir du logiciel. Mais dans le milieu musical, ce ne devrait pas être une grande limitation.

Martin Laliberté
La théorie des cordes de Machine Molle

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Martin Laliberté, Université de Marne-la-Vallée

« De ce point de vue, l’univers serait… de la musique ! Une musique dont les notes formeraient une symphonie plutôt que de bruit… »
_ Machine Molle

Le site http://www.culture.fr/surprise_du_mois/avril/index.html propose une œuvre multimédia au titre intrigant par une société de production et de post-production au nom évocateur.

Cette œuvre croise plusieurs références : principalement un bref exposé d’une théorie de la physique ayant le vent en poupe[[Pour une présentation complète et abordable voir Green, Brian L’univers élégant, Traduit de l’anglais par Céline Laroche. Paris, Robert Laffont, 1999 p. 157. Plus complet et mathématique Schwarz, Patricia, http://superstringtheory.com/.]], différents types de graphismes en 3D et de fragments d’un morceau du groupe Air.

L’œuvre se veut un peu interactive. En cliquant sur les six sections du graphisme principal – une forme aux couleurs organiques illustrant parfaitement la notion de « machine molle » de Burroughs – on ouvre des fenêtres où des objets filaires blancs sur fond noir s’animent au gré de courtes boucles musicales. Ces objets sont issus de recherches physiques ou mathématiques (les « pantalons » de Hawking et Penrose, par exemple, ou des sphères survolant des topographies accidentées). Certaines de ces formes sont modulées par la musique, assurant une certaine cohérence entre l’image et le son. Les graphismes en blanc sur noir sont issus d’une vidéo produite par cette société, réalisée par R. Ganzerli, L. Bourdoiseau et J. Blaquet.

Les fragments musicaux sont extraits de Electronic Performers (2001) du groupe Air[[Voir http://www.infratunes.com/presentation-groupe_109_Air.html]] ; ils croisent une rythmique raide évoquant clairement Kraftwerk, et des ambiances plus harmoniques rappelant Yes, le premier Genesis ou Tangerine Dream, sans oublier le nom du groupe traduisant la Soft Machine contemporaine des premiers. L’effet d’ensemble et la qualité sonore bien actuelle situent ces extraits dans la nébuleuse Techno. Si la production musicale se montre satisfaisante et compétente – le morceau principal est assez agréable -, on peut toutefois s’interroger sur le lien de ces musiques un peu « inquiétantes » avec le sujet apparent : la « symphonie des supercordes »[[Trinh, Xuan Thuan Le chaos et l’harmonie, Paris, Folio, coll. « Essais », 1998.]]. Le seul lien réel que je discerne est la modulation complexe des sphères par la musique.

Au final, je ne suis pas réellement déçu par cette œuvre ; je partage l’enthousiasme des auteurs pour la théorie des supercordes et ses résonances musicales. Toutefois, ce projet serait nettement plus abouti si la musique avait été moins consensuelle et plus en lien avec la source de son inspiration. Une démarche plus créative qu’un montage de clichés « spatiaux » ou « cosmiques » des années 1970, même remis à jour par la technologie actuelle, irait beaucoup plus loin. S’il s’agit bien d’un recyclage d’une musique et d’une vidéo conçues sur un tout autre thème, on comprend mieux l’effet un peu artificiel de l’ensemble.

À voir, par curiosité.

Giant Steps, un film de Micha Levy sur la musique de John Coltrane

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http://michalevy.com/giantsteps_download

Le film de Micha Levy n’est pas à proprement parler une analyse musicale. Pourtant, il est sans doute important d’en faire une recension dans ce premier numéro de Musimediane pour plusieurs raisons. Il ne s’agit certes pas de la première video musicale qui tente de rapprocher un comportement musical et un comportement visuel. On pense par exemple au travail qu’avait effectué Jaroslaw Kapuscinski (http://www-crca.ucsd.edu/~jarek/index_works.htm (26 octobre 2005)) à l’INA sur un tableau de la série « ragtime » de Piet Mondrian. Kapuscinski revendique même l’idée de « composition audiovisuelle » pour ce genre de travail, et l’éllipse n’est sans doute pas galvaudée. Mais on a affaire là à un degré de correspondance qui mérite quelques commentaires.

Si la connivence explicitement recherchée entre le visuel et le musical dans ce type d’œuvres interpelle l’analyse musicale, c’est précisément grace à leur capacité à révéler, dans un langage qui est celui du mouvement plastique, un mode de saisie du musical par la conscience de l’auditeur que les moyens ordinaires de l’exposé discursif ne permettent guère d’envisager. Le film de Micha Levy est avant tout un extraordinaire révélateur de la construction musicale de la pièce de Coltrane. Au delà de l’allusion évidente au titre même de l’œuvre, les « pas de géant », au delà d’une métaphore architecturale pleinement assumée, dans un sens qui n’aurait peut-être pas tout à fait déplu à Xenakis, le terme de « construction » prend ici tout son sens. L’élément architectonique, la « note » est explicitement relié à un correspondant paradigmatique, le « cube », mais dans une modalité qui restitue au paradigme son mouvement, qui ne l’enferme pas dans une boite, et qui permet de visualiser la « structure » de la mélodie, par exemple dans la mise en place des arrêtes d’un cube de niveau supérieur, qui va s’avérer être l’étage d’une maison plus grande encore, signifiant magnifiquement toute la structuration mélodique mise en œuvre par Coltrane. La « grande forme » est elle aussi magnifiquement explicitée dans sa symétrie par un mouvement rétrospectif de « déconstruction » et non de « reconstruction » comme le laisserait entendre le terme analytique de « réexposition ». On sent que Micha Levy touche là une des grandes incohérences de notre appréhension de la forme musicale et de ce que représente le terme de « symétrie » dans le temps. On notera également la très grande élégance qui consiste à présenter le « chorus » comme un « aménagement » du « thème », par des arabesques décoratives qui viennent s’inscrire dans la structure mélodique initiale.

Mais Micha Levy n’en reste pas à ce mimétisme sommaire, même si extrêmement efficace. Il donne aussi à voir la progression du son de Coltrane, à la fois, même si c’est évidemment arbitraire, dans des analogies de couleurs, mais surtout dans des analogies d’intensitées qui jouent sur plusieurs niveaux. D’abord, le parcours – toujours très clair – du « tracé » mélodique, avec ses sautes, ses appartées, ses volutes… Ensuite, le « point de vue » de la caméra, qui, avec un subtil décalage, inscrit le « geste » musical dans son contexte en révélant l’articulation de chaque élément avec la totalité. Enfin l’élan même du son coltranien est répercuté sur l’ampleur de la présence spatiale, débordant le cadre initial (celui d’un immeuble) pour s’exposer à toute une « urbanité » (celle de New-York où a été créée la pièce) et devenir pure jouissance énergétique, dans une maîtrise et une élégance qui absorbent le problème de la destinée.

Il faut souligner évidemment l’exploit technique qui consiste à rendre cette pièce accessible avec une qualité visuelle quasi parfaite dans le cadre du réseau internet. On imagine aisément la somme de travail que cela a pu représenter. Mais on rêve aussi, évidemment, de disposer un jour d’outils suffisamment efficaces pour pouvoir explorer les représentations mouvantes en trois dimensions dans l’investigation de la musique. Dans quelques numéros de Musimediane ?