La Spatialisation des musiques électroacoustiques sous la direction de Laurent Pottier

La Spatialisation des musiques électroacoustiques , sous la direction de Laurent Pottier, Saint-Etienne : Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2012, 220 pages

En préambule à ce recueil de textes réunis par Laurent Pottier (Université de Saint-Etienne) suite à un colloque tenu en 2008, le compositeur et chercheur américain John Chowning souligne l’intérêt d’une authentique recherche dans le domaine de la spatialisation sonore. Il écrit : « J’étais convaincu que le contexte spatial du son est aussi important que le son lui-même, on entend le son, mais on sent aussi l’espace » (traduction de Laurent Pottier).

Pour étudier la spatialisation sonore, cet ouvrage collectif adopte un point de vue assez original, en partant des pratiques des compositeurs qui en rendent compte dans leurs contributions.

Dans un texte intitulé « Espaces appareillés », Pierre-Yves Macé présente deux directions de son travail sur l’espace électroacoustique. La première est l’ouverture laissée dans ses œuvres aux paramètres d’espace et d’écoute dont les valeurs ne seront choisies qu’après avoir investi le lieu du concert. Sa pièce Qui-vive (2008) explore ainsi les modalités d’une écoute décentrée avec un dispositif octophonique. La seconde est une recherche sur de nouveaux espaces d’écoute de la musique électroacoustique, dépassant et incluant les habituelles situations du concert et l’écoute domestique, pour envisager un nouveau modèle fondé sur la notion de séance de cinéma sonore à partir d’œuvres, de dispositifs de diffusion et de lieux dans des configurations toujours différentes.

Le point de vue de Jean-François Minjard dans son texte « D’un point, l’autre ou les métaphores de l’espace » est d’abord historique, reprenant les apports majeurs de Schaeffer et Varèse au XXe siècle. Il pose la délicate question du sens en musique électroacoustique : « le sens par le son ou le sens du son ». La recherche du sens, comme le pose Minjard, est liée à la recherche sur l’espace, comme vecteur de différenciation ou de fusion (pour le compositeur comme pour l’auditeur), entre les figures induites par les dispositifs techniques et les caractéristiques musicales des contenus projetés.

Dans sa contribution « L’espace comme cinquième paramètre musical », Annette Vande Gorne propose un tour d’horizon complet des catégories d’espace acoustique distinguant espace ambiophonique, espace source, espace géométrie et espace illusion. La compositrice montre comment elle a déployé ces espaces dans les cinq mouvements de son œuvre intitulée Tao (1984-1991). L’auteur pose ensuite une série de figures classiques dans l’interprétation des œuvres stéréo à la console de spatialisation (fondu enchaîné, démasquage, etc.) pour dresser un tableau des éléments musicaux mis en évidence. Le texte met également en valeur le rôle fondamental selon Annette Vande Gorne de l’interprète spatialisateur, avant d’étendre l’ensemble de ces considérations à la projection du son multi-canal.

Le texte de Laurent Pottier, intitulé « Le contrôle de la spatialisation » dresse un panorama précis des dispositifs de diffusion sonore, de la quadriphonie aux systèmes sur mesure, en passant par le 5.1, l’octophonie et les systèmes en volume. Dans un deuxième temps, l’auteur se penche sur les solutions développées pour le contrôle de la spatialisation, entre contrôle graphique, contrôle algorithmique et contrôle temps réel. Dans la partie algorithmique, il montre en particulier d’intéressantes corrélations de la spatialisation aux qualités du son diffusé, obtenues par analyse.

Dans un texte aux vastes dimensions, « Quelques espaces pour la musique ‘Rétrospective’ », Pierre-Alain Jaffrennou et Yann Orlarey brossent un vaste panorama de recherches, réalisations et créations menées par le Grame, ayant trait à l’espace sonore. Les systèmes comme Sinfonie (1994) ou Interactors (1990) posent la question du contrôle gestuel à peu de dimensions d’un espace de paramètres, notamment de diffusion, en nombre toujours croissant. Les auteurs détaillent plusieurs projets artistiques baptisés scénographies sonores faisant appel à ces systèmes. Pierre-Alain Jaffrennou présente ensuite ses travaux de spatialisation par processus, à partir du langage Lisp, permettant l’instanciation de suite de séquences, d’ensembles d’objets définis par des distributions de rythmes, de hauteurs et de vélocités fonctions du temps, associés à une mise en espace. De nombreuses réalisations artistiques plus récentes sont exposées.

Le texte de Marije A.J. Baalman, « Spatialization with Wave Field Synthesis for Electro-Acoustic Music » est présenté en deux versions : d’abord dans sa version originale puis dans sa traduction française. Il est essentiellement fondé sur la thèse de doctorat de l’auteur. Partant d’un bref état de l’art sur les concepts et aspects de la composition spatiale, l’auteur se penche plus particulièrement sur la synthèse par front d’ondes (WFS), dont elle expose le procédé, avant d’en présenter les atouts et limitations. Dans un dernier temps, Marije A.J. Baalman dresse un panorama des outils de WFS, des systèmes disponibles et en développement dans différents instituts.

L’originalité de cet ouvrage réside essentiellement dans la part faite à la contribution de compositeurs, pour certains chercheurs, laissant émerger des points communs mais aussi des approches variées. Le propos technique est nécessairement daté, et devra être complété par la lecture de contributions plus récentes. Les développements du temps réel ainsi que l’intrication de la synthèse et des traitements avec la spatialisation constituent des pistes d’approfondissement sur le sujet.

Philippe Manoury, La musique du temps réel

Philippe Manoury, La musique du temps réel, entretiens avec Omer Corlaix et Jean-Guillaume Lebrun, Paris : Editions MF, 2012, 157 pages.

L’ouvrage La musique du temps réel rassemble un ensemble d’entretiens du compositeur Philippe Manoury (né en 1952) avec les journalistes musicaux Omer Corlaix et Jean-Guillaume Lebrun, réalisés en 2011. Organisé en sept chapitres thématiques, le livre aborde un large éventail de sujets, allant des conceptions de Manoury en termes de composition à la place de la musique contemporaine et du compositeur dans la société.

Les trois premiers chapitres sont guidés par des préoccupations compositionnelles : comment l’œuvre peut-elle rencontrer ses auditeurs (chapitre 1, « Produire l’écoute ») ? comment composer l’espace (chapitre 2, « L’espace, l’éther du temps ») ? que signifie composer avec et pour des environnements électroniques (chapitre 3, « Temps réel : la machine à remonter le temps ») ?

Dans le chapitre 4, intitulé « Le bal des têtes », les journalistes passent en revue un certain nombre de compositeurs du XXe siècle, dont Manoury évoque l’œuvre et l’intérêt qu’il porte à chacun (ou son absence d’intérêt !). Sont ainsi évoqués Dutilleux, Messiaen, Penderecki, Xenakis, Ligeti, Lindberg, Nono, Lachenman, Rihm, Berio, Cage, Janacek, Grisey et bien d’autres.

Les chapitres 5 (« Les Amériques ») et 6 (« Le Japon, si loin, si proche ») évoquent les sphères culturelles que le compositeur a arpentées : dans un premier temps, il remet en perspective son expérience de jeune compositeur au Brésil, puis fait le bilan des années passées à l’université de Californie à San Diego en tant que professeur de composition, s’attardant notamment sur les particularismes des pratiques liées à l’improvisation. Du Japon, le compositeur retient essentiellement la musique traditionnelle et son renversement de l’image acoustique qu’elle propose, dans une construction de l’aigu au grave, à l’opposé de la conception occidentale.

Le chapitre conclusif intitulé « Postlude, temps contrarié » se concentre sur la difficile situation de la création contemporaine dans la société, évoquant aussi bien la disparition de la critique dans la presse que l’absence de transmission de la musique savante dès le plus jeune âge.

Cette série d’entretiens dresse un portrait très vivant du compositeur Philippe Manoury, accessible au lecteur non spécialiste, notamment le chapitre 3 qui présente le temps réel en musique de manière imagée et aisément compréhensible. Si le propos ne surprendra pas les musicologues, notamment concernant le « credo » et les choix artistiques du compositeur – qui par exemple n’abandonne pas l’investigation dans le champ des hauteurs, le livre constitue une introduction assez complète à sa musique, qui devrait donner envie au lecteur de l’écouter mais aussi de réfléchir à la situation plus que fragile des musiques savantes aujourd’hui.