Levy, Fabien

Fabien Lévy est compositeur. Il enseigne actuellement la composition à la Columbia University (New York)

Fabien Lévy a étudié la composition avec Gérard Grisey au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il est aussi titulaire d’un doctorat en théorie musicale. Il a été de 1999 à 2001 conseiller pédagogique à l’Ircam et chargé de cours à l’Université Paris -Sorbonne. Il a enseigné de 2004 à 2006 l’orchestration à la Hochschule für Musik Hanns-Eisler de Berlin (Allemagne), et est actuellement professeur de composition à la Columbia University de New-York.

Ses oeuvres, éditées chez Billaudot, ont été jouées entre autres par le London Sinfonietta, l’Ensemble Modern, l’Itinéraire, le quatuor Habanera ou l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin. Fabien Lévy a été en 2001 en résidence du DAAD à Berlin et pensionnaire de l’Académie de France/Villa Medicis à Rome (2003). Il a reçu en 2004 le Förderpreis de la fondation Ernst von Siemens pour la musique.

Éditorial

Les articles qui constituent cette deuxième livraison de Musimédiane sont pour la plupart issus du colloque international « Le travail de l’interprétation. Esthétique, théorie, pratique » (Ircam, 18-20 octobre 2004), organisé conjointement par l’Ircam, la Société Française d’Analyse Musicale et l’Université Marc-Bloch (Strasbourg 2) avec le soutien du Centre National de la Recherche Scientifique, dans le cadre de la manifestation Résonances.

Les actes de ce colloque, dont le programme reste consultable en ligne (http://www.sfam.org/reson.pdf), sont publiés
en deux volets
par la Société Française d’Analyse Musicale :
– dans le vol. XII, n° 4 de Musurgia, Analyse et Pratique Musicales (contributions de Alessandro Arbo, Nicolas Donin, Márta Grabócz et Hyacinthe Ravet
– dans la présente publication (contributions de Jean-Marc Chouvel, Rémi Goasdoue, Fabien Lévy
et
Gianfranco Vinay)

Les outils multimédia sont évidemment une avancée certaine pour la recherche sur l’interprétation autant que pour l’exposé de ces recherches. On trouvera donc avec ce numéro quelques contributions supplémentaires sur la même thématique.

L’article de Nicolas Donin et Jacques Theureau est issu d’une étude réalisée entre temps, dont les premiers résultats ont d’abord été présentés en décembre 2005 dans un séminaire qui prolonge le colloque de 2004 : « Comprendre le travail de l’interprétation (histoire, analyse musicale, ergonomie) » (voir www.ircam.fr/apm.html puis Analyse de l’interprétation, puis Le séminaire).

L’article de Sophie Dardeau, extrait d’un travail de thèse en cours,
donne à entendre la créativité de l’interprète confronté à l’ambivalence des sources à travers l’exemple de la Sequenza 1 de Luciano Berio.

Enfin Musimediane publie un deuxième « concert-analyse », en l’occurrence celui que la pianiste Anne Piret a consacré aux œuvres mixtes pour piano.

Gianfranco Vinay
Post-scriptum philologique sur l’interprétation, l’exécution et l’analyse

Sollicité pour faire une courte récapitulation de ces deux journées d’étude sur l’interprétation et l’analyse, étant donné l’importance de la philologie dans ma culture d’origine, la culture italienne, je propose quelques réflexions concernant les mots les plus utilisés au cours du colloque : interprétation, exécution, analyse, remises dans la perspective de la musicologie « méditerranéenne ».

INTERPRÉTATION « Interpréter » : le mot dérive de « inter-pretium », littéralement « entre les prix ». L’interprète est un médiateur, un négociateur, une personne qui s’entremet pour faciliter un accord entre deux ou plusieurs personnages.
L’interprète est un médiateur entre deux ou plusieurs langues (en ce sens, les véritables protagonistes du colloque ce n’est pas nous, les musicologues, ce sont plutôt les interprètes dans la cabine en face[[Ndlr : Le colloque faisait l’objet d’une traduction simultanée français/anglais, les interprètes se trouvant dans une cabine de traduction à côté de l’estrade.]]).
L’interprète est donc, aussi, un « traducteur » : à savoir quelqu’un qui nous conduit à travers (traducteur, du verbe latin « trans-ducere ») différents langages, à travers différentes images, suggérant souvent des métaphores (autre mot suggérant un voyage : dans le sens littéral du terme, la métaphore est un moyen de transport).
Le concept de « résistance », évoqué par Michel Imberty dans sa conférence d’introduction au colloque[[Ndlr : Cette conférence a été publiée sous forme du Xe chapitre de Michel Imberty, La musique creuse le temps. De Wagner à Boulez : Musique, psychologie, psychanalyse, Paris, L’Harmattan, 2005.]], met en évidence la relation entre la traduction, l’interprétation et la psychanalyse. Comme l’écrit Paul Ricœur : « J’ai employé, comme en psychanalyse, le terme de « résistance » pour dire ce refus sournois de l’épreuve de l’étranger de la part de la langue d’accueil »[[Paul Ricœur, Sur la traduction, Bayard, Paris, 2004, p. 10.]].
Plusieurs formes de résistance dans l’interprétation musicale : résistance de la partition par rapport au sonore (et donc besoin d’ajouter des spécifications, des gloses musicologiques – voir, par exemple, l’intervention de John Rink[[Ndlr : La communication de John Rink s’intitulait « Analyse musicale/ou/de/pour l’interprétation : questions, approches, décisions ». Voir également « The State of Play in Performance Studies », The Music Practitioner, Jane Davidson (éd.), Aldershot, Ashgate, 2004, p. 37-51.]]) ; résistance de l’œuvre musicale par rapport à l’interprétation (voir, par exemple, l’intervention de Denis Laborde[[Ndlr : La communication de Denis Laborde s’intitulait « Steve Reich, la répétition ».]]) ; résistance de l’interprétation par rapport au public (scandales, etc).

Dans l’interprétation musicale on peut envisager une équivalence entre la recherche de l’œuvre cachée (l’œuvre musicale comme « objet purement intentionnel », selon la perspective de Roman Ingarden) et la recherche de la langue cachée de Walter Benjamin dans son texte sublime sur la tâche du traducteur.
Le statut de l’interprétation est celui de la « convergence » qu’on peut symboliser par le rapprochement de deux forces, deux mouvements (selon Imberty) qui se rejoignent. Le point de convergence crée une « hospitalité musicale » équivalente à l’« hospitalité langagière » dont parle Ricœur (« En dépit de l’agonistique qui dramatise la tâche du traducteur, celui-ci peut trouver son bonheur dans ce que j’aimerais appeler l’hospitalité langagière[[Ibid., p.19]] »).
Cette convergence est double :
1) Convergence temporelle : ajustement entre le tempo de la pièce, le temps intérieur de l’interprète et le temps intérieur de l’auditeur qui s’adapte ou ne s’adapte pas aux choix de l’interprète ;
2) Convergence entre la « trajectoire propre à l’œuvre » et la réception de la part du public. Boulez, dans Le texte, le compositeur et le chef d’orchestre[[Pierre Boulez, « Le texte, le compositeur et le chef d’orchestre », Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. 2. Les Savoirs musicaux (Jean-Jacques Nattiez, éd.), Actes Sud/Cité de la Musique, 2004, p. 1183-1196.]] affirme que l’essence de l’interprétation consiste dans la mise en valeur de cette « trajectoire » mais il rajoute que cette mise en valeur est une médiation entre l’œuvre et le public : « L’interprète a une vue pragmatique surprenante de la forme et du développement de la musique, notamment parce que le rapport qui s’établit entre le public et lui le renseigne directement sur l’affectivité et l’effectivité des moments successifs. Il éprouve directement quel moment de l’œuvre il doit privilégier par rapport à un autre, quels contrastes sont indispensables à souligner, quelles plages de repos sont nécessaires[[Ibid, p. 1192-93.]] ».
Dans l’interprétation verbale, métalinguistique, il y a une convergence symbolique entre image musicale (sonore) et image verbale, mais une divergence entre le temps de l’œuvre et le temps du récit, de la narration verbale.
La conduite de l’interprète est une conduite herméneutique, un dialogue entre des temporalités.

EXÉCUTION Exécuter dérive de « ex-sequi » = « mettre à effet, mener à accomplissement » ; le préfix « ex » = faire sortir (le mot anglais « performance » dérive du français ancien « parformer », c’est à dire « accomplir » ; en allemand, « Auf-führung », littéralement « mener sur », le « auf » spécifiant un contact direct avec la surface de l’œuvre.
Le statut de l’exécution est celui de l’« ex-pulsion » et de l’« ex-croissance » qui aspire à un accomplissement, qu’on peut symboliser par un mouvement vers l’extérieur. Faire sortir à l’extérieur un projet qui est à l’intérieur (de la mémoire, de la conscience de l’interprète, ou de l’œuvre en tant que partition, texte) et le mener à accomplissement interprétant les signes de la notation musicale et structurant la forme selon une image mentale et une représentation gestuelle de l’œuvre.
Le désir d’accomplissement des images musicales demeure une des pulsions constitutives de l’expérience musicale les plus fortes pour tous ceux qui y participent et sont concernés par elles : compositeurs, interprètes, public. Ce désir d’accomplissement est un stimulant très fort par rapport aux relations métaphoriques entre images musicales et images méta-musicales. L’être du désir est de représenter l’absence. Mais il y a aussi un désir compulsif, dérivant du caractère « energétique »[[ « Enargétique » dans le sens de « enargeia », expression utilisée par Homère dans le XIV livre de l’Odyssée (161) au moment où Eumée s’en va et apparaît sous les traits d’une jeune femme très belle. Ce qui apparaît à Ulysse est la déesse, mais son fils Télémaque ne la voit pas, et Homère dit : « Car ce n’est pas à tous que les dieux apparaissent « enargeis ». Normalement on traduit le mot « enargeis » par « visibles », mais « argos » veut dire « étincelant, ce qui brille de soi même ». Heidegger, qui cite ce passage dans un court texte, Zur Frage nach der Bestimmung der Sache des Denkens, un discours prononcé en 1965 en honneur de Binswanger, réfléchissant sur le mot utilisé par les latins pour traduire « enargeia », « evidentia » (« évidence », dans le sens de « devenir visible ») met en relief la responsabilité des latins dans le passage d’une « vision rayonnante », archaïque, fondée sur la force propre de la nature intrinsèque de l’objet, sur son énergie profonde, à une vision basée sur la signification donnée à la chose par le sujet qui regarde. Le propre de l’image musicale est sa nature rayonnante, sa nature « énargétique » qui dérive de son énergie intrinsèque. Mais le « paradigme rétinien », dominant dans la civilisation occidentale, a tout fait pour étouffer l’« enargeia » sous des métaphores poétiques fondées sur les relations mimétiques de l’image visuelle.]] des images musicales. Est-ce qu’on peut envisager une « stylistique du désir », selon le caractère de la pulsion désirante (désir stimulé par manque, désir mimétique, désir compulsif) ? En tout cas, le désir stimule l’accomplissement des images musicales non seulement de la part du compositeur et de l’interprète, mais aussi de la part de l’auditeur. Un désir concernant soit l’écoulement du temps, soit la focalisation de l’image musicale.
L’aspiration à l’accomplissement apparente l’exécution à l’« exégèse », qui est interprétation dans le sens d’une transformation de quelque chose d’obscur en quelque chose de clair et d’accompli.
La conduite de l’exécuteur est donc en même temps « enargétique » et « exégétique ».

ANALYSE – de « ana-luein » = littéralement « dé-lier » ; le statut de l’analyse est celui de la « divergence » : divergence temporelle (le temps de l’analyse n’est pas le temps directionnel et téléologique de la performance, l’analyse est un « arrêt sur les images » musicales) ; divergence sémiologique et symbolique (l’analyse se base sur un transcodage métaphorique entre la notation musicale – ou la partition sonore – d’une part, les signes et les symboles des différentes pratiques et méthodes analytiques d’autre part) ; divergence hiérarchique (l’analyse hiérarchise les éléments musicaux de manière différente par rapport à l’œuvre musicale et à sa performance) ; enfin, divergence affective (l’analyse sépare les composantes rationnelles et les composantes émotionnelles de la musique, privilégiant surtout les premières).
La conduite de l’analyse est dia-léctique et dia-logique : l’analyse délie les éléments afin de les étudier et de s’en servir pour dia-loguer sur la musique.
Évidemment, entre ces trois procédés et conduites il y a une porosité plus ou moins grande, accentuée par les transformations technologiques en cours. Il me semble qu’un des apports majeurs de ce colloque est la prise de conscience que nous sommes arrivés à un tournant. Ou bien on redéfinit les limites sémantiques et métaphoriques des mots et des catégories, ou bien on s’adonne à des exercices verbaux funambulesques dont je peux suggérer quelques exemples : analyse des interprétations des analyses ; interprétations des analyses des interprétations ; exécution de l’interprétation de l’analyse ; interprétation de l’exécution de l’analyse ; analyse de l’interprétation de l’exécution…

GIANFRANCO VINAY

Theureau, Jacques

Jacques Theureau est ingénieur, chargé de recherches au CNRS. Il réalise et dirige depuis trente ans des recherches en anthropologie cognitive, en vue essentiellement de la conception ergonomique de situations de travail et de formation, informatisées et automatisées, individuelles et collectives. Le profit théorique et méthodologique retiré de l’élargissement des recherches vers d’autres domaines que le travail et la formation l’ont conduit depuis 2003 à aborder les pratiques musicales et la conception des situations musicales à l’Ircam.

Donin, Nicolas

Nicolas Donin, musicologue, est chercheur à l’Ircam (responsable de l’équipe Analyse des
pratiques musicales). Ses travaux portent principalement, d’une part, sur l’histoire de l’écoute des musiques contemporaines en France et en Allemagne depuis la fin du XIXe siècle ; et, d’autre part, en collaboration avec Jacques Theureau, sur une anthropologie cognitive des pratiques musicales dites savantes (essentiellement la composition et l’interprétation).